Presque six mois se sont écoulés depuis ma dernière publication ici, en grande partie parce qu’après trois ans d’écriture, je suis rentré dans le « sprint final » du gros livre que je vais publier chez Écosociété au début de l’automne prochain. Vous pouvez d’ailleurs suivre sur le blogue du Cerveau à tous les niveaux le « journal de bord » de l’écriture de cette aventure qui va du Big Bang à la conscience de soi…
Mais quand je me suis aperçu hier que ça faisait neuf ans qu’Éloge de la suite avait été lancé (et donc qu’il entame aujourd’hui sa première décennie…), je me suis dit qu’il fallait quand même souligner ça ! J’ai pensé écrire un peu sur tous les aspects de la pensée de Laborit qui se retrouvent explicitement ou en filigrane dans mon livre, mais ça m’aurait pris trop de temps, que je préfère consacrer à ma relecture du dernier chapitre et à la gestion des images afin de pouvoir commencer la mise en page dans les prochaines semaines. Ce que je peux faire toutefois, c’est simplement publier deux des documents qu’on m’a envoyés depuis des mois et qui était sur ma « liste d’attente de publication ».
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En commençant par ce courriel reçu de Denis Ragelty (que je remiercie) en février dernier, qui m’écrit :
« Voilà un document que je n’ai pas trouvé sur éloge de la suite. Cette intervention d’Henri Laborit a eu lieu lors d’un congrès médical en Principauté de Monaco auquel j’avais participé. »
Si je me fie à la première page du document, ce congrès qui a eu lieu en 1980 s’intitulait « Les entretiens de Monaco », avec en sous-titre « Le rôle de la médecine dans la crise du monde occidental ». Dire que Laborit est encore d’actualité, 109 ans après sa naissance et 28 ans après sa mort, le mot est faible. Je vous vous copie seulement deux passages de cette lumineuse intervention qui, sur le plan de sa critique de la médecine, n’a pas pris une ride. Le deuxième ayant même des accents prémonitoires actuellement…
« Et il est plus important de voir comment on peut éviter qu’un très grand nombre d’individus soient en inhibition de l’action que de les traiter lorsque l’inhibition de l’action aura provoqué chez eux des lésions. »
« On se demande si sur le plan éthique il faut raccourcir la vie de Monsieur qui souffre et qui demande qu’on le délivre de cette vallée de larmes. On se pose beaucoup moins de problèmes quand il s’agit de détruire toute une population et de faire un génocide n’importe où, en dehors du monde occidental, bien sûr. »
Et voici la deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième page de la présentation.
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L’autre document, je crois que j’étais tombé dessus par hasard, en cherchant quelque chose sur Laborit sur le Net. Il s’agit de l’enregistrement audio d’un entretien qu’il avait accordé à Georges Charbonnier sur France Culture le 14 juillet 1973. Je ne sais pas s’il s’agit de la totalité de l’entrevue, mais ça dure 12 minutes et ça s’écoute fort bien, Laborit étant alors, à 59 ans, probablement dans ses années les plus productives en terme de synthèse de sa pensée (un an avant la publication de La nouvelle grille). Il faut dire que Charbonnier y va d’interventions tout en finesse, lui qui a l’habitude des grosses pointures, ayant alors déjà interviewé Raymond Queneau, Claude Lévi-Strauss ou Jorge Luis Borges.
Il débute donc l’entretien en demandant à Laborit ce qui, selon lui, entrave la fraternité à grande échelle entre les êtres humains. Et c’est un plaisir d’entendre un Laborit développer ses idées là-dessus en parlant de l’établissement de hiérarchies de dominance selon certaines valeurs du moment, comment celles-ci vont restreindre l’accès à la connaissance, non pas de faits épars, mais d’informations générales permettant de se comprendre et de se situer dans le monde. En rappelant aussi que le langage conscient n’est toujours que la pointe de l’iceberg versus tous nos automatismes inconscients. Qui sont ce qu’on nous a rentré dans la tête depuis notre plus jeune âge pour faire le moins de vagues possible, pour être le plus soumis, conciliants avec la finalité des dominants du sous-groupe humain dans lequel on est né. Et que c’est en comprenant les mécanismes biopsychologiques derrière tout ça qu’on pourrait imaginer des structures sociales autres où pourrait s’exprimer plus de fraternité.
Et je me rends compte que Laborit aborde ainsi en quelques minutes l’essentiel des thématiques que je développe dans mon livre, et qu’il fait en quelque sorte à ma place le texte que je voulais écrire aujourd’hui ! Comme quoi mon système nerveux a bel et bien été marqué au fer rouge par ce monsieur… Et qu’heureusement (ou malheureusement ?), ces questions sont encore criantes d’actualité.