On termine cette semaine la publication de la trame audio du débat public organisé par le syndicat de travailleurs CFDT en 1975 sur le thème “Science et autogestion” auquel Henri Laborit avait participé. Je remercie encore M. Gabriel Manikowski qui avait pris l’initiative d’enregistrer cette soirée mouvementée avec les moyens du bord et qui a eu la gentillesse de tout numériser ça plus de 40 ans plus tard !
Partie 3 de 4 :
Quelques faits saillants, mais ça ne vaudra jamais l’expérience d’une écoute attentive !
Vers la 10e minute de cette 3e partie, Laborit parle de ce que peut apporter sa discipline au débat en réponse à une femme qui se méfie de la science. On sent que cette méfiance est généralisée dans la salle, et Laborit avait d’ailleurs été assez violemment pris à parti sur cette question vers la 30e minute de la 2e partie présentée la semaine dernière. Cela est d’autant plus ironique que s’il y a un scientifique qui fut lui-même marginalisé l’establishment médical français, c’est bien lui ! Ce qui le place résolument du côté des ouvriers marginalisés par le système productiviste capitaliste, bien que plusieurs dans la salle ne semblent pas s’en apercevoir.
Vers la 22e minute, puis la 29e, des « camarades » (comme tout le monde s’appelle et se tutoie dans cette assemblée syndicale typique de cette époque…) prennent un peu la défense de Laborit et lui posent des questions sur les différents niveaux d’organisation et comment cela peut éclairer l’autogestion.
Vers la 34e minute, et pour un bon 5 minutes, l’assemblée s’enflamme autour de la tension entre révolte personnelle et révolution sociale. On lève le ton, on s’engueule, on rit aussi… On apprend même à un moment donné qu’il y a des gens « en arrière » qui n’ont pas pu rentrer dans la salle faute de place ! Quelle époque quand même, quand on pense au climat morose qui caractérise la nôtre…
Partie 4 de 4 :
.
Encore ici, il y a de nombreuses excellentes interventions, dont celle d’une femme vers la 3e ou 4e minute. Mais on retiendra surtout celle de Laborit, de la 12e à la 20e minute environ, qui raconte l’histoire de cette institution psychiatrique prise en charge par ses « pensionnaires » (et qui confirme qu’une intervention précédente d’un collaborateur était bien celle de Bernard Calvino). À cet endroit, chacun participe à une tâche donnée au sein un groupe (maintenance, alimentation, administration, etc.), mais au bout d’un certain temps, on impose aux individus de changer de groupe pour éviter la sur-spécialisation qui fait perdre de vue la vision d’ensemble, la finalité de ce groupe social. Parce que ça permet aussi de discuter avec les autres, de confronter les façons de faire, les points de vue, etc. Et Laborit de conclure sur ceci en disant : « imaginez si tous les soirs on se réunissait comme ce soir pour échanger, peut-être en ressortirait-il quelque chose ? »
Un peu plus loin, il explique que si ses découvertes servent à faire des pilules, ce n’est pas du tout son but premier qui est le plaisir qu’il éprouve à comprendre les mécanismes physiologiques. Mais tant qu’on sera dans un système capitaliste, il faut trouver un moyen de poursuivre sa quête. Cela dit, Laborit dit souscrire au fameux « Le socialisme sera planétaire où ne sera pas ». Et quand on lui demande par où commencer, il répond : « Par tous les bouts ! ».
* * *
Un mot en terminant sur la pièce de théâtre «Ce qu’on attend de moi» inspirée de l’Éloge de la fuite de Laborit dont je vous parlais il y a deux semaines. J’y suis allé, et même deux fois plutôt qu’une ! Car wow, quel spectacle astucieux qui nous fait entrer subtilement dans le cerveau d’un individu choisi le soir même dans la salle ! Que ce soit par le potentiel dévastateur de notre fragilité ou par l’inventaire de nos regrets, cette autopsie d’un système nerveux humain orchestrée par Philippe Cyr et Gilles Poulin-Denis nous rend à notre tour plus humain. Sans compter les nombreux clins d’œil à l’œuvre de Laborit parsemés ici et là dans la pièce pour le grand bonheur des groupies comme votre humble serviteur : bien sûr le livre Éloge de la fuite lui-même qui traîne parmi d’autres livres, les instruments de chirurgie pour disséquer le poulet, le hamster qui évoque les rats de Mon oncle d’Amérique et qui revisite l’expérience de Milgram à la fin, etc…