Pour avoir eu la chance d’y passer deux fois, je sais que le fonds d’archives Henri Laborit regorge de perles rares de toutes sortes. Celle que je vous présente cette semaine m’a été transmise par David Batéjat qui y est passé il y a quelques mois et l’a prise en photo (encore merci David!). Il s’agit de la page d’un journal non identifié où figure un dossier sur le film « La ville à prendre », de Patrick Brunie (toujours actif en 2012 pour défendre des espaces de liberté dans Paris), qui venait de prendre l’affiche en salle en avril 1979. On retrouve donc dans cette page trois critiques du documentaire dont une d’un certain Henri Laborit, identifié comme biologiste et auteur du livre « L’homme et la ville ».
Voilà donc Laborit critique de cinéma, juste avant d’ailleurs d’apparaître l’année suivant dans son propre rôle dans le film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique ». Décidément, tout ce qui touchait le « phénomène humain » l’intéressait… Et Laborit le critique de film avait adoré « La ville à prendre ». Son petit texte tout au bas de la page évoque sur un ton presque lyrique toute l’émotion que les interviews avec les parisiens et les parisiennes « ordinaire » du film ont suscitée en lui. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir ses éclairs analytiques de lucidité typique quand il écrit par exemple :
« Vous écouterez le discours d’un jeune handicapé d’une ville nouvelle, comme on dit. Après l’avoir entendu, vous enverrez peut-être votre obole à l’une des multiples associations charitables qui s’en occupent, surtout si elles sont « d’État », mais vous aurez compris que les handicapés ne sont pas seulement ceux auxquels on pense. Être handicapé, cela veut dire que l’on ne peut pas agir. Cette masse d’hommes, de femmes et d’adolescents, enfermés dans leurs cadences, dans leurs gestes stéréotypés, dans leurs automatismes professionnels, conceptuels, dans leur béton, écrasés par les bras d’un monstre qui se nomme « productivité » pour le maintien des échelles hiérarchiques de dominance, sont aussi handicapés que le paraplégique, mais tout le monde trouve ça normal. »
Tendre avec le film et les simples gens qui y témoignent, Laborit l’est beaucoup moins envers le système économique dans lequel ils se débattent. Son paragraphe de conclusion, à saveur apocalyptique anticapitaliste et aux métaphores « chirurgicales » (Laborit a d’abord été chirurgien…), mérite d’être cité en entier :
« Un individu a besoin d’une glace pour reconnaître son visage. Peut-être une société comme la nôtre a-t-elle besoin de tels films pour s’apercevoir qu’elle est défigurée ? La chirurgie esthétique, ce qu’il est convenu d’appeler l’urbanisme, peut ravaler les paupières, mais la flamme du regard n’est pas si simple à ranimer. Peut-être est-ce dans celui de ces hommes et de ces femmes, noyés dans le système productiviste international, celui de la dominance et de la foire d’empoigne généralisée, que l’on peut encore la trouver. Dépêchons-nous avant qu’elle ne s’éloigne ou qu’elle y prenne brutalement des lueurs d’incendie. Combien de temps encore peut durer ce type d’esclavage ? »
Au Québec vient de commencer la campagne électorale pour les élections municipales du 5 novembre prochain. Cette vision mortifère de la ville pour l’individu parce que toujours au service de la grosse « business » que décrie Laborit, c’est celle que maintien encore le parti au pouvoir dans ma ville, Montréal. Espérons qu’ils seront remplacés par le jeune parti de l’opposition actuelle, beaucoup plus progressiste. Si c’est le cas, on pourra peut-être leur envoyer le 6 novembre un exemplaire de « L’homme et la ville » pour qu’ils aient le goût d’aller encore plus loin en suivant Laborit et sa vision de la ville centrée sur le bien-être biologique de ses citoyen.nes avant toute chose.