Il y a deux semaines était publié sur le blogue Hémisphère gauche du journal français Libération un article hommage à Henri Laborit. Heureuse surprise en soi, d’autant plus que l’article est accompagné d’une superbe illustration synthèse de Laborit, œuvre d’Antoine Doré, avec cerveaux, rats et molécules de chlorpromazine en prime !
Et encore plus heureuse parce que je ne connaissais pas son auteur, Romain Ligneul, chercheur post-doctorant en neurosciences ayant fait ses études doctorales à Lyon mais qui travaille actuellement aux Pays-Bas.
En fait non, ce n’est pas vrai. J’avais vu passer son nom comme intervenant lors d’un débat après l’une des projections du documentaire expérimental « Les devenirs du charisme » dont on avait parlé ici en octobre dernier. Mais à l’époque, je n’avais pas cherché à en savoir plus sur celui qui, de toute évidence, est un fin connaisseur de l’œuvre de Laborit et qui, en plus, effectue des travaux entre autres sur le rang de dominance dans les hiérarchies humaines. Travaux qui poursuivent, avec les outils contemporains de l’imagerie cérébrale, des questions soulevées il y a des décennies par Laborit.
On peut ainsi consulter en format pdf l’article « Dynamical Representation of Dominance Relationships in the Human Rostromedial Prefrontal Cortex » que Ligneul et ses collègues ont publié en décembre dernier dans Current Biology. On y confirme que le rang dans une hiérarchie de dominance est bien quelque chose qui s’apprend suite à des renforcements. Que le cortex préfrontal rostromédian joue un grand rôle dans cet apprentissage. Et que la stimulation électrique de cette région de notre cerveau peut influencer le poids des victoires et des défaites qui mènent à l’établissement du rang de dominance. Bref, des données fort intéressantes qui viennent spécifier certains aspects d’un phénomène que Laborit décrivait déjà avec les moyens et les mots de son époque.
Parlant des mots de Laborit, Romain Ligneul leur laisse la plus grande part dans son article, justifiant ce choix ainsi :
« En raison de la richesse et des multiples niveaux de description qui distinguent la pensée d’Henri Laborit, il est très difficile de synthétiser cette dernière. De plus, comme certains de mes travaux ont pour vocation d’approfondir, de tester et de moderniser un certain nombre d’hypothèses et de théories qui parsèment son oeuvre, je serais à tout instant tenté de substituer ma pensée à la sienne, au risque de déformer à la fois son héritage et ma propre conception du problème.
Par conséquent, je propose au lecteur de se remémorer Henri Laborit ou de se familiariser avec lui par l’intermédiaire d’une série de citations extraites de son ouvrage le plus diffusé : La nouvelle grille (1976). Ces quelques fragments sont organisés en 8 grands thèmes. Plus d’actualité que jamais, j’espère qu’ils donneront du grain à moudre, aussi bien à ceux qui défendent l’insoumission qu’à ceux qui croient pouvoir s’en dispenser. »
On se régale ensuite de la sélection d’extraits de Laborit faite par Ligneul, tous plus pertinents que jamais. Celui-ci par exemple, qui rejoint l’exposé de Laborit de 1972 sur les «nuisances de la vie moderne» présenté ici il y a deux semaines :
«Le problème consiste donc à comprendre comment le mythe de la croissance pour la croissance, et non pas seulement pour la satisfaction des besoins fondamentaux a pu s’instaurer, en occultant à ce point les motivations, qu’il est pris pour base des comportements sociaux en pays industrialisés, et qu’il peut aujourd’hui être défendu comme une fin en soi, comme la finalité même de l’espèce humaine, en l’enrobant de notions affectivo-mystiques, telles que celles du bonheur, des besoins, du progrès, de la domination de l’homme sur la marâtre nature, quand ce n’est pas celle du génie de la race blanche, ou d’un régime idéologique particulier.» La nouvelle grille (p105).
En guise de conclusion, ce n’est certes pas un hasard si Romain Ligneul rappelle le souhait de Laborit d’une diffusion plus large dans la population des mécanismes neurobiologiques nous prédisposant à agir et conditionnant cette action.
« Henri Laborit n’hésitait pas à qualifier de révolutionnaire l’idée selon laquelle la grille d’analyse neuroscientifique – une fois intégrée et comprise par une majorité de citoyens – permettrait non seulement la construction d’institutions plus efficaces, mais aussi d’une société plus résiliente contre les dérives associées à l’exercice du pouvoir. A plus petite échelle, il considérait que la connaissance des motivations et des biais (cognitifs) humains devrait également enrichir nos interactions sociales, libérer nos vies intérieures et accroître notre capacité à entreprendre ensemble.
A cet égard, il est enthousiasmant d’observer la prolifération d’initiatives visant à disséminer le savoir en (neuro)sciences cognitives et sociales. »
Ligneul, et c’est tout à son honneur, travaille tout à fait en ce sens. Il le fait tant par les thèmes de ses travaux recherche que par son travail de blogueur scientifique et de diffuseur de ressources déjà disponibles mis en hyperliens à la fin de son article. Et aussi, dans une note ajoutée au bas de l’article, en recommandant deux sites dont les noms me disent quelque chose : Éloge de la suite et Le cerveau à tous les niveaux… 😉
Laborit encore plus que jamais d’actualité… quant à la croissance, cheval de bataille des formations politiques, candidats aux élections présidentielles prochaines, comment peut-on se contenter d’un concept aussi ringard, aussi pauvre, en 2017? Et y croire en espérant que… pauvre humanité. On vend de l’homo sapiens pour racheter du néanderthal…