Je vous présent cette semaine un second extrait d’entrevue avec Laborit trouvé sur de vieilles cassettes audio numérisées durant le temps des Fêtes. Toujours sans date ni contexte, on peut toutefois reconnaître la voix d’une animatrice radio bien connue au Québec, Christiane Charette, qui s’entretient durant une quinzaine de minutes avec Laborit et Élizabeth Tessier. Cette astrologue française affirme avoir été chercher Laborit comme « sceptique » pour lui donner la réplique dans le livre d’échanges Étoiles et Molécules qu’elle a fait paraître chez Grasset en 1992.
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Le ton un peu badin de l’entrevue est donné par Tessier elle-même qui traite d’entrée de jeu Laborit de macho en affirmant que son acceptation du le projet s’est fait surtout sur la base de « sa belle gueule » car pour lui « y’a pas grand-chose au niveau neurone » ! Ce à quoi Laborit, en gentleman qu’il est plutôt, s’empresse de rectifier qu’elle est une femme intelligente et cultivée, capable d’accepter la critique. Mais le reste de l’entretien va quand même montrer qu’il n’en pense pas moins sur l’astrologie en tant que telle…
Quand l’animatrice demande à Laborit ce qu’il pensait de l’astrologie avant de connaître Élizabeth Tessier, ce dernier s’empresse de préciser que ce qu’elle lui demande au fond, c’est de porter un jugement sur l’astrologie. Or Laborit rappelle que pour poser un jugement sur quoi que ce soit, il faut connaître minimalement la chose et donc avoir lu sur celle-ci. Or comme il n’avait pas lu sur l’astrologie, il ne pouvait avoir de jugement là-dessus, bien qu’il ait vu passer des articles scientifiques très critiques à son sujet.
C’est donc dans le même esprit qui l’avait fait collaborer avec Alain Resnais pour faire une incursion dans une nouvelle discipline pour lui, le cinéma, qu’il avait accepté l’invitation de Tessier, dans ce souci d’être ouverts aux autres disciplines qu’il a toujours eu.
Charrette enchaîne avec une allusion à leur dynamique en leur demandant si leurs signes astrologiques seraient compatibles comme couple (on l’a dit, c’était plutôt léger comme entrevue…). Tessier y voit évidemment des liens, faisant allusion au fait que Laborit est scorpion, etc. Ce à quoi Laborit rétorque qu’’il a perdu son père alors qu’il avait cinq ans et que son métier lui a fait côtoyer la mort toute sa vie, et donc qu’il n’a pas eu besoin de l’astrologie pour se rapprocher d’elle et de ce qu’elle venait de dire sur le doute « abrasif » de Laborit.
Un peu plus loin, Laborit se rappelle avoir appris grâce à Tessier qu’on dit que les trois quart des « génies » sont nés en février. Mais, ajoute-t-il, comme les trois quart des présidents des États-Unis sont également nés en février, ce n’est pas une preuve de génie et ça montre la fragilité de l’astrologie !
On a ensuite droit à une anecdote sur les « jumeaux cosmiques » et Tessier signale au micro que Laborit lève ironiquement les yeux au ciel… Et Laborit précise, quelques instant plus tard, que « la parole d’Élizabeth, je ne la comprends pas ». Et il ajoute : « inversement, je crois que tout le monde peut comprendre ce que j’ai dit dans ce livre ».
À la dernière question de Christiane Charette (« Il est pour tout le monde, ce livre ? »), Laborit enfonce le dernier clou du cercueil : « Ah oui, ça vole très bas, hein… » !
Excellent!!! Et pourtant, les astrologues sévissent toujours… Raison, ô ma raison, où es-tu donc?
“Vous tomberez raide” – haha, l’esprit gaulois de Laborit, si rafraîchissant. Evidemment, l’éditeur a expurgé ce passage amusant. Tessier a réussi à séduire tous les bonshommes étonnants de son époque – Abellio, Laborit, Mitterrand, Jean Texier, Maffesoli… – non parce qu’elle a juste “une belle gueule et de belles jambes”, mais parce qu’elle incarne un fantasme masculin: la femme à la fois sexy et intellectuellement supérieure. Car elle est intellectuellement supérieure, et c’est ce qui me fait douter qu’elle croit à ses propres trucs. Cependant, Texier était astrologue aussi parce qu’avec tout son esprit cartésien, il voyait dans l’astrologie l’expression non d’une vérité de l’Univers, mais de l’inconscient. On n’est pas loin de Claude Lévy-Strauss qui s’y était intéressé pour les mêmes raisons – comme il s’en est ouvert à Jacques Chancel -, car l’astrologie est structurée comme le langage de l’insconscient.