Je suis revenu lundi dernier à un billet « ordinaire » sur le blogue du Cerveau à tous les niveaux, ayant fini mon cours sur la cognition incarnée que j’ai donné cet automne à l’UQAM [et dont les présentations complètes en format pdf sont disponibles ici]. Comme je m’en inspirais également pour mes billets sur Éloge de la suite, je reviens donc par le fait même aussi à mes billets « normaux » sur ce site après avoir trouvé finalement pas mal de liens entre mes 14 séances et l’œuvre de Laborit.
Mais d’abord, une dernière réaction par rapport à ce que j’ai écrit lundi sur la Cerveau à tous les niveaux au sujet de cette étude qui vient d’être publiée dans le numéro du 25 novembre dernier de la revue Science. Car comme vous allez le constater, les liens avec Laborit sont trop évidents pour les passer sous silence.
L’étude démontre que la position de subordination dans un groupe semble avoir des effets néfastes sur le système immunitaire. Tiens, tiens… Ça ressemble un peu à ce que Laborit a dit et écrit au moins 950 000 fois, non ? Pour être plus précis, l’étude s’intéressait à la position relative d’un singe rhésus dans la hiérarchie de dominance de son groupe et concluait qu’elle influence négativement le fonctionnement de son système immunitaire : plus le rang d’un singe est bas dans la hiérarchie, moins il produit de cellules immunitaires d’un certain type. Autrement dit, plus un individu est en bas de l’échelle hiérarchique et ne peut agir pour assouvir ses besoins, plus il est en inhibition de l’action et plus sera malade souvent, ce qui confirme encore une fois de belle façon des mécanismes pressentis par Laborit.
Bon, j’aurais le goût de vous laisser là-dessus et de vous annoncer tout de suite que je vais prendre ça « off » la semaine prochaine pour décanter un peu mon automne et passer du temps avec « mes chers contemporains »… Mais cette formule m’amène justement à vous parler d’un dernier truc en 2016 (promis !). Il s’agit d’une série de documentaires indépendants portant ce titre et réalisé par Usul. Et le seul épisode que j’ai écouté à date, celui sur Frédéric Lordon intitulée « L’économiste » m’a beaucoup plus car il montre bien la pertinence du contre-discours de Lordon en ces temps où les alternatives au discours hégémonique du capitalisme néolibéral atteint des sommets dans l’endoctrinement des masses. Quel est le rapport avec Laborit ? Celui, justement, du conditionnement et des beaux discours logiques pour le couvrir que Laborit a lui aussi tant décrié.
Et puis, vers la 17e minute, Usul cite Lordon qui s’appuie lui-même sur Spinoza pour montrer à quelle point le concept de libre arbitre devrait être minimisé, pour ne pas dire rejeté, si l’on intègre une certaine compréhension de nos déterminismes biologiques et culturels dont Spinoza avait déjà pressenti toute l’importance. Ce qui l’avait amené à penser que l’aliénation vient au fond essentiellement de l’ignorance de ces déterminismes qui nous animent le plus souvent à notre insu. Bien entendu, cette prise de conscience ne vient pas sans quelques petits problèmes pour les fondements de nos sociétés comme l’effritement de la notion de responsabilité individuelle et celle de mérite qui vient avec. Une « petite affaire » qui justifie bien des hiérarchies et sous-tend tout notre système de justice, par exemple, comme l’a aussi fait remarqué Laborit dans plusieurs de ses écrits.
Bref, j’étais heureux de constater à quel point Spinoza et Laborit se rejoignaient bien, et une rapide recherche sur le Net m’a montré que je n’étais évidemment pas le seul à avoir fait ce rapprochement. Je vous laisse donc avec ces quelques extraits et vous souhaite pour l’année 2017 où nous nous retrouverons ce que nos deux amis nous auraient sans doute souhaité : un conatus en santé et le moins d’inhibition de l’action possible !
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Extrait du commentaire de Casper (23 novembre 2014) sous l’article Henri Laborit aurait eu 100 ans : plaidoyer pour une relecture de son œuvre, par David Batéjat :
« Intéressant aussi, de faire le rapprochement entre Laborit et Spinoza. On se rend compte de la formidable justesse des intuitions du philosophe (pas de neurologie à l’époque). Antonio Damasio, autre neurologue, a fait des bouquins passionnants sur la comparaison entre découvertes neurologiques récentes et la philosophie de Spinoza. »
(j’ai d’ailleurs parlé un peu de d’Antonio Damasio au début de la séance 12 de mon cours de cet automne)
Extrait du commentaire de RogerMag.com 25 mars 2014 17:36
« Laborit ne fait pas référence à Freud et ses délires mais à la notion d’inconscient. L’Erreur de Descartes et Spinoza avait raison sont deux livres particulièrement intéressants sur ce sujet. Les “motivations conscientes” ne sont pas gratuites, elles prennent racines dans les tréfonds de notre corps. La raison permet de faire le tri et d’affecter des priorités afin d’optimiser notre bien-être à plus ou moins long terme. »
Extrait de l’article de Pikipoki intitulé Spinoza et la gratification (27 décembre 2006) :
« Je poursuis lentement ma lecture de l’Ethique, et je m’amuse pas mal à voir les quelques similitudes qui existent chez Spinoza avec ce que j’ai déjà pu lire chez Laborit. Aujourd’hui, je vous livre deux très courts extraits, qui rappellent fortement la théorie de la gratification et du réenforcement. »
Extrait de la recension Spinoza avait raison (31 juillet 2003) par Rédaction Transversales :
« Creusant des pistes ouvertes par Darwin, Freud, le psychologue américain William James et Henri Laborit, notre auteur progresse dans la description des liens organiques qui rattachent les émotions aux sentiments, grâce en particulier aux progrès conjoints des neurosciences et de l’imagerie cérébrale. »
Bonjour Bruno,
Franz de Waals, Boris Cyrulnik (entre autres éthologue, cf. ses premiers ouvrages) avaient abordé ce problème de subordination, ainsi que ses conséquences sur le système immunitaire. On ne peut que recommander la lecture de l’ouvrage majeur de Stanley Milgram, “Soumission à l’autorité” en complément.Il semblerait que différentes briques se mettent en place, peu à peu, jusqu’à constituer un ensemble de connaissances de plus en plus cohérent, quant aux dernières recherches et découvertes dans le domaine très étendu des neuro-sciences.
Qui ne font que confirmer les longueurs d’avance de ce cher Henri.
L’un des exemples les plus étonnants, mais pas tant que cela, se trouve dans l’univers des arts martiaux et plus précisément hors des dojos, en matière de self-défense pure, de techniques de survie lors de circonstances particulières. Les enseignements progressent grâce à ces apports (cf. les articles d’Eric Garnier-Sinclair dans la revue Dragon Magazine, notamment le dernier. Ce ne sont assurément pas les propos d’un “illuminé”, tendance “survivaliste” pur et dur. Laborit recommandait de bien déterminer et étudier les niveaux d’organisation).
Ces expériences constituent d’autres approches auxquelles on ne songe pas forcément mais qui ont le mérite, dans nos sociétés modernes, de coller au plus près de la réalité de terrain, en non de se trouver bien à l’abri dans un labo.
Bien cordialement.