Comme je l’ai expliqué ici, je donne cet automne un cours sur la cognition incarnée à l’UQAM. Chaque lundi, je publie dans le blogue du Cerveau à tous les niveaux un résumé de la séance que je donne le mercredi suivant. Et chaque vendredi, je fais ici des liens entre le travail de Laborit et le thème de la semaine (les présentations des séances du cours en format pdf sont disponibles ici).
Cette semaine, nous avons abordé la cartographie du connectome humain ainsi que toutes les techniques d’enregistrement, de traçage et d’imagerie avec lesquelles on tente d’établir ces cartes de notre cerveau.
Comme les techniques d’imagerie cérébrale qui ont accéléré notre connaissance de l’architecture de notre cerveau ne sont devenues réellement accessibles que vers les années 1990, Laborit n’y a pas eu accès. Il s’en est donc remis, durant la majeure partie de sa carrière, à des cartes classiques comme celle de Brodmann établie en 1909 dont les 52 régions inspirées de la cytoarchitecture des six couches de neurones du cortex sont encore utilisées aujourd’hui pour se situer sommairement sur la surface cérébrale.
Mais Laborit était aussi très conscient de l’importance d’avoir une perspective évolutive quand on considère le vivant, et en particulier le système nerveux. Voilà pourquoi il s’est intéressé aux travaux du neuroanatomiste américain Paul MacLean avec qui il a d’ailleurs correspondu. Dans les années 1950, MacLean avait en effet développé son modèle du cerveau triunique dont on connaît depuis les limites : délimitations anatomiques floues de sa composante centrale, le système limbique; relation somme toute assez ténue de ce dernier avec les émotions (alors que MacLean en faisait le « cerveau des émotions »); le ” cerveau reptilien ” des reptiles a aussi un cortex (alors que MacLean utilisait ce terme strictement en rapport avec nos besoins fondamentaux), etc.
Mais malgré tout, l’idée générale d’une histoire évolutive plus ou moins ancienne pour différentes régions cérébrales, elle, tient toujours. Comme le disait si bien François Jacob (Le Jeu des possibles, 1981) :
« L’évolution travaille sur ce qui existe déjà. […] La sélection naturelle opère à la manière non d’un ingénieur, mais d’un bricoleur; un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main. »
Et en cela, donc, Laborit ne s’était pas trompé, loin de là. Il va aussi se constituer, avec le peu de ce que l’on sait à l’époque, une cartographie des différents grands faisceaux nerveux qui relient dans le cerveau les régions fondamentales pour la survie d’un animal.
Dans les années 1950 toujours, les expériences d’autostimulation chez le rat avaient mis en évidence deux faisceaux nerveux fondamentaux : un « faisceau de la récompense », le Medial Forebrain Bundle, ou MFB; et un « circuit de la punition », le Periventricular System, ou PVS dont l’activation entraîne la libération dans l’organisme d’ACTH et d’adrénaline qui préparent rapidement le corps aux efforts exigés par la fuite ou la lutte.
Mais, comme on le sait, il arrive parfois que ni l’action gratifiante, ni la fuite ou la lutte ne soit possible. C’est alors que le système inhibiteur de l’action, ou SIA, entre en jeu devant le constat de l’inefficacité de notre action. Laborit a beaucoup travaillé sur ce système qui empêche temporairement toute action qui pourrait empirer la situation. Et il a compris très tôt les implications néfastes sur la santé d’une activation prolongée de ce système, autrement dit d’un stress chronique.
Mais pour revenir au MFB en terminant, j’ai souri quand j’ai pris connaissance, il y a quelques mois à peine, d’une étude publiée dans la revue Cerebral Cortex intitulée « A hedonism hub in the human brain. » Car ma séance de mercredi dernier s’achevait justement sur le concept de « hub », ces gros faisceaux d’axones dans le cerveau qui constituent de véritables « autoroutes » pour la transmission nerveuse. Or ce que l’étude de Zacharopoulos et ses collègues a démontré, c’est qu’il y a une corrélation positive entre la valeur que les gens portent à l’aspect « hédoniste » dans leur vie, et le volume du globus pallidus gauche, une structure cérébrale directement connectée au « superolateral medial forebrain bundle ».
Si Laborit avait pu lire cette étude, je suis certain qu’il aurait souri aussi, lui qui a si souvent répété que pour agir, il faut être motivé, et que cette motivation vient en bout de ligne du plaisir que l’on retire de cette action, comme le rappelle d’ailleurs les auteurs au début de leur article !