Comme je l’ai expliqué ici, je donne cet automne un cours sur la cognition incarnée à l’UQAM. Chaque lundi, je publie dans le blogue du Cerveau à tous les niveaux un résumé de la séance que je donne le mercredi suivant. Et chaque vendredi, je fais ici des liens entre le travail de Laborit et le thème de la semaine (les présentations des séances du cours en format pdf sont disponibles ici).
La séance de cette semaine était consacrée aux phénomènes oscillatoires rythmiques qui émergent de l’interaction des populations neuronales. Le cerveau utilise en effet ces rythmes comme un outil computationnel de plus dans son répertoire.
Ces oscillations dans les circuits de neurones, on les a observées aussi tôt qu’en 1924 alors que Hans Berger mettait au point le premier électroencéphalographe (EEG). Mais il fallut attendre plus d’un demi-siècle plus tard pour qu’elles commencent à être considérées comme autre chose qu’un simple épiphénomène. Cela explique pourquoi Laborit a peu, à ma connaissance, mentionné directement les oscillations cérébrales dans ses écrits, du moins ceux pour le grand public. Son outil de travail quotidien, on le sait, c’était la pharmacologie. Et bien que les drogues qu’il appliquait sur ses modèles animaux avaient bien entendu des effets au niveau des rythmes cérébraux, Laborit ne les a pas étudiés en tant que tel, toujours à ma connaissance…
Mais en faisant des recherches avec des mots clés pour ce billet, je suis tombé sur une page d’Éloge de la suite que j’avais écrite quelques semaines après son lancement en novembre 2014. J’y relate une autre coïncidence semblable où, en cherchant sur un colloque consacré à Laborit en 2000, j’étais tombé sur l’annonce des journées du réseau de sciences cognitives d’Île de France où l’on pouvait lire que « Dans le domaine des neurosciences, F. Varela (LENA-CNRS, Paris) a décrit les mécanismes physiologiques impliqués dans la constitution du “temps présent” et développé l’hypothèse qu’une synchronisation des activités neuronales soit à l’origine d’une conscience du présent. »
Et comme je le rappelais, F. Varela, c’est bien sûr Francisco Varela (1946-2001), chercheur important de la scène des sciences cognitives de la fin du XXe siècle et… personnage de mon film !
Je me suis alors rappelé l’un des dernier articles publiés par Varela et ses collègues avant son décès en 2001, intitulé : « The brainweb: Phase synchronization and large-scale integration », Francisco Varela , Jean-Philippe Lachaux , Eugenio Rodriguez & Jacques Martinerie. (j’ai le pdf de l’article au complet si ça intéresse quelqu’un…). C’est un article très pédagogique qui fait le point sur les recherches sur la synchronisation d’activité à l’époque et qui plaide fortement en faveur d’un rôle fonctionnel important pour la synchronisation d’activité neuronale :
« we argue that the most plausible candidate is the formation of dynamic links mediated by synchrony over multiple frequency bands.”
Je vous copie aussi la très belle fin de la conclusion qui ne semble pas avoir pris une ride, 15 ans plus tard :
« The various aspects of large-scale integration through synchrony constitute the basis for several broader considerations about brain dynamics as coordinated spatiotemporal patterns. A central issue is the solution to the apparently opposing needs of local specificity of activity versus the constraints imposed by other areas, which has been highlighted as the hallmark of brain complexity. Under this vision, the brain appears as a resourceful complex system that satisfies simultaneously the exogenous and endogenous constraints that arise at each moment by transiently settling in a globally consistent state. These novel views on the brain might throw light on the emergent principles that link neuron and mind, as the large-scale integration of brain activity can be considered as the basis for the unity of mind familiar to us in everyday experience.”
Et pour preuve de l’actualité de ces propos, ce blogue intitulé : « Francisco Varela 2001-2011 » découvert en cherchant autour de cet article dont un billet parle de l’importance qu’avait eu The Brainweb. En effet, en octobre 2010, le même Nature Reviews Neuroscience qui avait publié l’article en 2001 y allait d’une rétrospective de la première décennie du XXIe siècle où The Brainweb était cité comme l’article ayant eu le plus d’influence en 2001 dans cette revue scientifique !
“The outstanding research that has flourished following the publication of the ‘brainweb’ Review 10 years ago is a beautiful tribute to a unique and visionary scientist. The inspiration of Francisco Varela (1946–2001) will live on through the highly promising findings that will no doubt continue to emerge in this field for many years to come.”