Tel qu’annoncé dans mon plan de match de la semaine dernière, on continue aujourd’hui avec la seconde demi-heure de l’émission Humeurs (avec un « s », apprend-t-on dans ce segment…), diffusée sur Radio Libertaire en 1985 et animée par Gérard Caramaro, responsable aussi de 4 des 5 entrevues d’une heure avec Laborit sur autant de ses livres en 1984 à la même station. Station dont Caramaro rappelle le slogan à un moment donné durant l’entretien (“La voix sans maître”, comme on le voit sur l’affiche ci-contre) en ajoutant “et donc sans publicité” ! Tout pour plaire, quoi.
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Après quelques commentaires pour clore sur le sujet des prisons abordé un peu plus tôt, Caramaro revient à la charge à propos de Jean-Marie Le Pen et demande à Laborit quelle tolérance on peut avoir à son endroit. Laborit répond qu’on ne peut empêcher quelqu’un de parler. Que comme la diversité génétique a permis l’évolution biologique, aujourd’hui la combinatoire conceptuelle permet l’évolution des sociétés. Et qu’on a vu ce que les atteintes à la liberté d’expression avait fait en U.R.S.S. Mais le laisser agir, ça c’est autre chose, poursuit Laborit.
Caramaro lui demande ensuite avec raison comment dissocier son discours haineux et mensonger de ses actes ou des actes de ses supporteurs. Mais pour Laborit, le véritable problème est ailleurs. Il est dans le fait que des gens le croient, que des gens adhèrent à son discours. Un discours apparemment logique, comme le sont tous les discours logiques, de droite, de gauche comme du centre, ajoute Laborit.
Et Laborit, qui se rappelle alors une expérience faisant naître de faux souvenirs chez les gens, insiste sur le fait que c’est cette distance avec tous les discours qu’il faut cultiver. Parce que sinon on est condamné à rester dans une bouillie affective de jugements de valeurs, comme il le rappelle souvent. Alors que c’est par la compréhension des mécanismes que l’on va pouvoir agir réellement sur le monde pour changer les choses, comme il l’explique avec un exemple sur le viol.
Alors, tout n’est qu’illusion ?, lui lance Caramaro. Pas la démarche scientifique, même si elle n’est pas parfaite, répond Laborit. Mais pour le reste, la plupart du temps, les gens parlent d’une sous-structure, d’un sous-ensemble de relations dans le domaine qu’ils connaissent comme s’il s’agissait de la Structure avec un grand « S », de la Réalité avec un grand « R » ou de la Vérité avec « V ». Ce qui constitue, finalement, la définition de toutes les idéologies pour Laborit.
S’ensuit une critique rapide mais fort juste de Laborit à l’endroit de l’information spectacle que l’on retrouve trop souvent dans les grands médias qui m’a fait grand plaisir, on se demande bien pourquoi… (et visiblement à M. Faubert qu’on entend pouffer de rire à ce moment précis !). Il raconte qu’il s’est fait inviter plusieurs fois à l’émission de Michel Polac, mais qu’il a refusé en lui disant qu’il l’interromprait au bout de deux minutes pour donner la parole à une autre invité, comme le format de son émission le lui impose. Et que Laborit aimait avoir le temps de parler pour développer sa pensée. Une chose qui nous manque cruellement aujourd’hui en effet, et une chose que faisait très bien le format de deux heures des entretiens à Radio Libertaire !
Ce qui ne veut pas dire que Laborit veut se complaire dans ce créneau confortable que lui offre son ami, puisqu’un peu plus loin, alors que Caramaro fait allusion à sa présence récurrente à son émission, il précise qu’il ne va pas y venir éternellement, expliquant toujours les choses avec les clés qui sont les siennes, et que l’on peut très bien comprendre au bout d’un certain temps.
On constate ici l’espèce d’humilité de Laborit qui s’enracine dans une lucidité et un sain scepticisme qui lui fera souvent dire au cours de l’entretien « je ne sais pas » ou « je ne comprends pas » et non pas « cela ne se peut pas » devant certains phénomènes étranges comme celui de la sculpteures grecques qu’il évoque ou le mysticisme de certains scientifiques, en physique surtout (il mentionne Jean Charron que l’on peut voir avec Laborit dans un vidéo de 1962).
Et quand Caramaro le charrie un tantinet, comme il le fait souvent (d’où le grand plaisir que procure leurs échanges…), en lui lançant : « Heureusement qu’il reste les biologistes des comportements pour rectifier le tir ! », Laborit de répondre :
« Non… Les biologistes des comportements sont dans leur petite discipline… Tu sais, tous les jours j’ai l’impression que je ne sais rien… et dieu sait si je lis, je passe ma journée à lire, à me documenter, à lire des rapports du monde entier. Et finalement on se dit : qu’est-ce que je sais ? Rien… Mais, personnellement, ça me permet de vivre mieux. »
À suivre…