Avant de vous présenter la pièce de résistance de cette semaine, je voudrais vous signaler que la version pdf de ma présentation intitulée « Conscience, connaissance, imagination : le leitmotiv de Laborit », dont je vous ai parlé la semaine dernière et que j’ai donnée le 6 avril dernier à Montréal dans le cadre du cours « Deux inclassables du XXe siècle : Walter Benjamin et Henri Laborit », est maintenant accessible en cliquant ici.
Après deux entretiens de Laborit trouvés dans un grenier, je vous propose cette semaine une autre trouvaille : un article écrit par Laborit dans un livre déniché par M. Pierre Rolland « dans un marché aux vieux livres à Paris » comme il me l’écrit dans le courriel contenant les scans de l’article d’une vingtaine de page. Un grand merci, donc, à M. Rolland pour rendre ainsi disponible cet article de Laborit d’un ouvrage collectif publié sous la direction du docteur Jacqueline Djian en 1967.
L’ouvrage s’intitule La médecine contemporaine (collection idées nrf, Gallimard) et la contribution de Laborit porte sur l’hibernation artificielle, un sujet qu’il connaît bien puisqu’il en a été l’un des pionniers. Il complète fort justement cet entretien avec Laborit sur l’hibernation artificielle réalisé dix ans plus tôt, en 1957 !
Comme toujours, vous pouvez lire l’article en cliquant sur chacune des pages ci-dessous dont certaines m’ont inspiré un commentaire.
Laborit offre dans les premières pages un fort pédagogique préambule sur ce qu’est la vie sous son aspect cellulaire et métabolique.
Fin du préambule, que Laborit résume ainsi :
“Ce qu’il faut retenir de ce préambule, c’est que la vie est possible en l’absence d’oxygène et que de nombreuses formes vivantes sont encore là pour nous le prouver, mais que pour des organismes évolués comme ceux des mammifères et de l’Homme, l’évolution l’a rendue impossible, de nombreuses structures cellulaires réclamant l’oxygène pour permettre les phosphorylation abondantes (synthèse d’A.T.P.) dont elles ont besoin pour assurer le maintien de leurs structures et leurs fonctions.”
Laborit replace les pricipes élémentaires posés plus haut dans un organisme multicellulaire complexe qui comprend plusieurs grands systèmes (nerveux, circulatoire, immunitaire, etc.) comme l’être humain. Et l’on constate que ces systèmes servent en gros à apporter l’hydrogène ionisé des aliments et l’oxygène de l’air respiré aux cellules pour que le premier soit accueilli dans par le second après avoir livré de l’énergie à l’organisme…
Pour bien comprendre les bases du “changement de paradigme” apporté par Laborit avec ses cocktails lytiques dans les années ’40 et ’50, il faut lire cette page où il rappelle comment le système nerveux assure la vie relationnelle de l’organisme avec le milieu extérieur, et en particulier sa fuite ou sa lutte devant un danger. Or, comme l’explique Laborit, c’est en favorisant les muscles au détriment des organes de la cavité abdominale (reins, intestins, etc.) en terme de débit sanguin (donc d’apport de ressources) que l’animal pourra fuir ou lutter efficacement.
Mais idéalement, il faut réallouer rapidement les ressources enlevées aux organes de la cavité abdominale et au système immunitaire, fort importants sur le long terme. Comme l’écrit Laborit à propos de cette plus faible vascularisation qui empêche non seulement l’apport de nutriments et d’oxygène, mais l’évacuation des déchets :
“Elle n’est pas faite pour durer, Si elle dure, elle entraînera elle-même, secondairement, la mort par des lésions qu’elle déchaîne dans les organes non indispensables à la fuite ou à la lutte mais indispensables à la vie tout court.”
C’est pourquoi en empêchant ce phénomène sur la table d’opération (car il se déclenche automatiquement devant toute forme d’agression, chirurgicale y compris), on empêchera les dégâts qu’il produit. Et comme c’est l’adrénaline qui est à l’origine du phénomène, c’est en la bloquant avec certaines molécules comme les dérivés des phénothiazines qu’on peut y parvenir.
Laborit explique que ce qu’il vient de décrire n’est pas toujours suffisant. À propos de la réaction adrénergique (provoquée par l’adrénaline), il écrit :
“Cependant, la supprimer souvent ne suffira pas à donner au thérapeute le temps nécessaire pour corriger efficacement la lésion causale, celle-ci étant même délibérément provoquée par lui dans certains cas comme celui de la chirurgie cardiaque […]. C’est alors qu’interviendrait l’hypothermie généralisée thérapeutique.”
Autrement dit, l’hibernation artificielle…
Les réactions enzymatiques dans les cellules animales se font plus ou moins rapidement selon la température. Les poïkilothermes (animaux à “sang froid”) ralentissent simplement leur activité enzymatique ce qui les rend avec le froid de moins en moins dépendant d’apports énergétiques (et de moins en moins mobile de toute façon pour les trouver)…
Les autres animaux dit homéothermes vont user de différentes stratégies comportementale et physiologiques pour se garder au chaud. Mais certains sont capables d’hiberner.
En état d’hibernation, avec leurs processus métaboliques au relenti, ces espèces peuvent mieux supporter des agressions de toutes sortes.
L’idée de l’hibernation artificielle est donc de prendre parti de ce ralentissement protecteur du métabolisme en bloquant par exemple les mécanismes thermorégulateurs du corps humain.
Sur les températures minimales où l’on peut refroidir un organisme en hibernation artificielle…
…et pourquoi c’est très difficile en-dessous de 10 degrés Celsius.
Un dernier extrait qui résume fort bien l’un des apports essentiel de Laborit :
“[…] il n’est peut-être pas inutile de répéter que ces “moyens de défense”, terme auquel est indiscutablement lié un jugement de valeur que la nature ignore, ne sont que des moyens de “réagir” aux viriation du milieu. S’il paraît illogique de déprimer un moyen de défense, nous pensons avoir montré qu’il est licite de déprimer une réaction quand l’effet qui en est la conséquence n’est plus adapté à l’environnement moderne.”
Comme sur une table d’opération…