Je vous présente cette semaine une petite recension de Jacques Godbout de La vie antérieure publiée dans la revue québécoise l’Actualité en septembre 1989 et intitulée « Biographie d’un génie impertinent ».
Il y a curieusement plusieurs histoires que l’on peut rattacher à ce texte dont une, assez poignante, que j’aimerais vous raconter. Mais je risque de devoir le faire par petits bouts car c’est la semaine de relâche scolaire et fiston va arriver d’un instant à l’autre. Je continuerai donc la suite de ce récit dès que j’en aurai le temps par la suite. On fait du work-in-progress ou on n’en fait pas ! 😉
Commençons par signaler une coïncidence qui n’en est sans doute pas vraiment une : l’auteur de cet article, Jacques Godbout, est aussi celui qui a réalisé en 1990 le film « Pour l’amour du stress » sur Hans Selye dans lequel Laborit, qui a bien connu Selye, intervient.
Malgré de petites inexactitudes (le père de Laborit n’est pas mort au Tonkin mais en Guyane française; chouchou mais sûrement pas « gourou » des médias…), on sent la fascination de Godbout pour Laborit même s’il avoue d’emblée en début d’article s’être limité à la lecture de ses ouvrages pour le grand public. Il rappelle néanmoins un détail important par rapport à Selye : c’est parce que Laborit parlait peu anglais (et que Selye parlait 6-7 langues, dont le français) que les deux se sont rapprochés (notamment lors d’un congrès aux États-Unis dont l’année m’échappe…). Si l’inhibition de l’action est sans doute l’une des plus importantes intuitions de Laborit sur le cerveau (et sur le corps), et que l’on sait à quel point il s’est appuyé sur les travaux de Selye pour la développer, ce détail valait d’être mentionné.
Un autre « détail » est la façon dont j’ai mis la main sur ce texte. Je mets détail entre guillemets car vous allez voir que l’histoire qui vient avec est tout sauf un détail. Je me permettrai donc le petit récit d’une rencontre personnelle sur ce site. Je ne le ferais pas si je n’avais pas la conviction qu’on peut en tirer des leçons de survie, en quelque sorte, et si tout cela n’avait pas clairement rapport avec la pensée de Laborit, et plus particulièrement avec l’inhibition de l’action et surtout l’art de l’éviter. Mais bien sûr, comme l’écrit Laborit à la page 85 de La vie antérieure justement, après avoir rappelé le ridicule de ces tranches de vie si elle ne débouchent pas sur des lois générales, “il est toujours agréable de se raconter” !
Alors voici…
Je crois déjà l’avoir mentionné ici, je donne actuellement une série de cours à l’Université du troisième âge (UTA) des Laurentides. Or comme j’habite Montréal, je m’y rends en partie en métro, puis en voiture grâce à M. Réjean Hinse, l’une des personnes qui suit le cours et qui me donne à chaque semaine un lift de Laval à Piedmont. En discutant avec cet assidu de plusieurs cours de l’UTA depuis des années, j’ai découvert au fil des semaines sa grande culture et son esprit éclectique. C’est donc presque sans surprise que j’ai appris qu’il avait lu plusieurs livres de Laborit dont La vie antérieure qu’il était justement en train de terminer.
C’est alors qu’il mentionne au passage qu’il avait même retrouvé dans son exemplaire un vieil article de l’Actualité paru autour de la sortie du livre en 1989. C’était, vous vous en doutez bien, l’article de Godbout que j’ai donc pu vous présenter ici parce que M. Hinse m’en a fait une photocopie.
Et puis au retour du cours de la semaine dernière, M. Hinse me mentionne que j’ai dit quelque chose durant le cours au sujet des « faux-souvenirs » je crois, qui lui a rappelé autre chose qui l’a fait partir dans ses pensées. Un souvenir, bien réel celui-ci, d’un événement qui s’est déroulé en décembre 1961 et qui a fait basculer sa vie. En fait non, le moment où tout a basculé, ce n’est pas le soir de ce vol à main armée dans un magasin de Mont-Laurier, petite ville des Laurentides plus loin au nord de Piedmont. Mais plutôt en 1964 quand Réjean Hinse a reçu un verdict de culpabilité assorti d’une peine de 15 ans de prison pour ce vol, un vol qu’il n’avait pas commis…
Je vous rappelle ici que je suis en auto sur le chemin du retour vers Montréal et que l’homme d’une grande amabilité avec lequel j’ai de stimulantes conversations depuis quelques semaines me lance cela (presque) aussi naturellement que lorsqu’il cause histoire de l’art ou devenir de l’humanité. J’ai mis un presque entre parenthèse parce que M. Hinse venait de rater la sortie menant vers l’autoroute 15. Ce n’est rien, on continue simplement sur la 117 et on rejoindra l’autoroute un peu plus tard.
J’essaie pendant ce temps de comprendre la chronologie des événements en le bombardant littéralement de questions. Entre autres sur les 15 ans de prison. Ça me semblait impoosible qu’il les aient faites, alors comment s’en est-il tiré ? Justement non, il ne s’en est pas tiré : il a fait 5 ans de prison au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul !
« Est-ce que tu sais ce que ça pouvait être Saint-Vincent-de-Paul dans les années 1960? », me demande M. Hinse. Et le voilà repartit à m’expliquer les restrictions, l’absence de contact lors des rares visites qu’il avait, etc. On manque une seconde sortie. Pas grave, on fait demi-tour et on embarque finalement sur l’autoroute.
Je lui pose d’autres questions. Il me colle patiemment les morceaux de son histoire : la cassation du verdict de culpabilité en 1991 en cour d’appel du Québec après plus de 20 ans d’efforts acharnés pour prouver son innocence; l’acquittement en cours suprême en 1997; et le jugement qui faisait de son cas en 2011 la plus importante compensation jamais accordée à une victime d’erreur judiciaire au Canada ! Mais lui préfère parler de ce que ça a vraiment été : une injustice.
Et c’est à peu près quand il a prononcé ce mot que nous nous sommes aperçu que nous avions raté une troisième sortie, celle devant nous mener au métro de Laval, et que nous étions rendu sur le boulevard métropolitain à Montréal en pleine heure de pointe… C’est donc complètement « sur le pilote automatique », comme on dit (ou sur l’automatisation motrice totale des noyaux gris centraux, comme serait porté à dire le neurobiologiste sur le siège du passager), que M. Hinse avait conduit, lui complètement « ailleurs » pendant le récit d’un demi-siècle de combat, et moi « scotché » à ses lèvres et complètement insensible à l’environnement extérieur !
Ce n’est que le soir chez moi que j’ai pu constater l’ampleur de cette histoire dont mon « élève » était l’acteur principal. Tapez juste son nom dans Google comme je l’ai fait. Cet article de 2010, et surtout celui de 2011 d’un chroniqueur judiciaire que je n’ai, par ailleurs, pas toujours porté dans mon cœur, donnent plusieurs des hallucinantes suites de négligences, corruption et autres qui ont ponctué cette saga.
Saga dont le lien avec Laborit allait devenir évident au retour du cours suivant, celui où j’avais parlé des liens corps – cerveau que confirme aujourd’hui la neuro-psycho-immunologie dont Laborit fut un précurseur. Le lien s’est fait tout seul alors que, sans rentrer aussi en profondeur dans le sujet que la semaine d’avant pour ne pas rater nos sorties (!), M. Hinse me disait qu’instinctivement, il s’était mis à faire compulsivement des exercices de musculation dans sa cellule. « Sinon il me restait deux choix : la folie ou le suicide », me confia-t-il.
Et c’est là que j’ai fait le rapprochement avec l’expérience avec les rats de Laborit que l’on voit dans le film Mon oncle d’Amérique que je leur avais justement expliqué une heure auparavant. Comment deux rats dans une cage soumis au stress de petits chocs électriques plantaires et ne pouvant fuir répondent en se battant, même si ça ne leur permet pas d’arrêter les chocs ou de les éviter. Mais au moins leur corps fait quelque chose, il ne reste pas en inhibition de l’action, la pire des réponses comportementale quand elle dure longtemps.
Comme cinq ans en prison par exemple. Et c’est ainsi que motivé par la haine de cette injustice, motivation qu’il ne souhaite à personne, M. Hinse a pu traverser cette épreuve à coup de push up et de redressements assis. Son corps a agi, ne s’est pas (trop) mis en inhibition de l’action avec tous les dérèglements qui viennent avec.
Je connais très peu M. Hinse et ne m’aventurerai pas à conclure quoi que ce soit de cette histoire au dénouement amer (voir le 2e article de Boisvert). L’homme reste marqué, évidemment, même si un poids sur ses épaules (ou sur ses synapses ?) avait été enlevé lors de son acquittement. Et je ne sais pas s’il serait d’accord avec moi, mais sa soif de connaissance constitue une autre fuite salvatrice que Laborit n’aurait pas reniée.
La suite, qui est une autre histoire de combat contre les hiérarchies de pouvoir tout aussi révélatrice, vendredi prochain… 😉
d’accord avec toi Bruno. La quête de connaissances sur le tard, faute d’avoir été éduqué à l’orphelinat de la petite enfance à l’adolescence, le travail dur, l’exercice physique intense, la résistance forcenée face à l’injustice m’ont permis dans le dédale des hauts et des bas de maintenir l’équilibre nécessaire au combat mené pendant cinquante ans et plus.
Motif de ma narration: séquence du cours 7 où il y a méprise sur l’identification des deux femmes.
Content de n’avoir pas trop mal compris l’essentiel de ton parcours de vie si singulier, cher Réjean. Et oui, maintenant je me souviens bien de ce détails du cours 7 qui a déclenché ce récit déconcertant devenu billet de blogue, peut-être un peu dans l’espoir qu’il serve à d’autres. En tout cas merci encore pour ces bons moments partagés entre Laval et Piedmont ! 😉