Je vous ai déjà annoncé ici que la première de « Sur les traces d’Henri Laborit » allait avoir lieu samedi le 13 février prochain, mais je vous en reparle aujourd’hui pour plusieurs raisons.
D’abord parce que c’est dans deux semaines et parce que c’est un bon moment pour le rentrer dans votre agenda ! 😉 Mais surtout parce qu’on a lancé entretemps la programmation Hiver 2016 de l’UPop Montréal mardi dernier et que le nouveau site web de l’UPop présente en détail le cours Deux inclassables du XXe siècle: Walter Benjamin et Henri Laborit. Présentation générale du cours, des deux personnages sur lequel il porte, brève biographie des profs, résumé de chacune des 5 séances, carte du lieu, etc.
Bref, tout y est pour concrétiser ce cours bicéphale un peu atypique. Car la première question qu’on peut légitimement se poser c’est : qu’est-ce qui peut bien relier l’allemand Walter Benjamin (philosophe, critique littéraire, historien de l’art, traducteur (notamment de Balzac, Baudelaire, Proust) au français Henri Laborit (chirurgien, chercheur en pharmacologie, pionnier des sciences cognitives et écrivain) outre que les deux étaient des inclassables multidisciplinaires qui ont marqué la première moitié du XXe siècle pour Benjamin, et la seconde pour Laborit ? Pour y répondre, je reprends rapidement ce que j’ai dit au lancement mardi dernier pour présenter le cours et ce que j’avais annoncé sur Éloge de la suite le 9 décembre dernier.
La réponse est un peu étrange puisque c’est le cinéma. Ou, si vous voulez, la rencontre de deux cinéastes, Carlos Ferrand, né au Pérou mais travaillant à Montréal plus de 35 ans, et moi-même, cinéaste à mes heures. En effet, quand j’ai rencontré Carlos il y a environ un an, j’ai appris qu’il réalisait depuis 3-4 ans un film sur Walter Benjamin, qu’il avait eu de la difficulté à financer un sujet aussi complexe (c’est maintenant chose faite), et qu’il brûlait d’envie d’échanger déjà sur Benjamin avec le public. Et comme de mon côté je préparais aussi un film sur Laborit et que j’avais moi aussi toujours beaucoup envie de parler de Laborit, alors on a dit « Bingo » on se fait un p’tit cours de l’UPop avec ça !
C’est ainsi qu’on peut comprendre la structure un peu bizarre de ce cours qui va commencer le samedi 13 février avec la première de mon film « Sur les traces d’Henri Laborit » qui n’est en fait, je le rappelle, que la moitié du projet ! C’est donc un work-in-progress qui couvre la période de la naissance de Laborit en 1914 à 1965 (les parties 3 et 4 couvriront, elles, de 1965 à aujourd’hui). Et en plus, il va y avoir dans cette nouvelle salle qu’est l’Auditoire, qui s’associe à l’UPop et où va se donner le cours, une exposition qui va durer 2 semaines et qui reproduit une dizaine de tableaux sur la vie de Laborit, exposition qui a roulé en France durant l’année 2000 et que j’ai eu la permission de reproduire ici.
Je donnerai ensuite le mercredi 24 février (et à partir de là tous les cours seront les mercredis aux deux semaines), un cours qui s’intitule Les intuitions de Laborit sur le cerveau et qui tentera de montrer comment certains travaux de Laborit trouvent aujourd’hui un écho important dans la recherche contemporaine en neurosciences (cellules gliales, le connectome qui a succédé au cerveau « triunique » de MacLean et bien sûr à l’inhibition de l’action mieux connus sous le nom de stress chronique).
C’est ensuite Carlos qui va enchaîner avec ses deux cours sur Benjamin. D’abord le premier le 9 mars intitulé La pensée de Walter Benjamin, un bouquet de sens, qui sera un peu une introduction à la pensée de Benjamin et, pour citer Carlos : une présentation vibrant entre théologie et Marxisme, entre Philo et poésie, entre gougouneries et 46 niveaux de signification.
Et puis son second cours le 23 mars intitulé : Chiffonnier de l’Histoire : Walter Benjamin et les ruines du progrès où là il va parler du doute, du fragmentaire, de l’inachevé, mais aussi de la Révolution, du jeu sérieux et de Benjamin du côté des exclus (impossible d’aller tout droit avec Benjamin, c’est toujours des constellations, paraît-il…).
Et finalement je reviendrai avec mon dernier cours le 6 avril intitulé « Conscience, connaissance, imagination », le leitmotiv de Laborit où l’on essaiera de comprendre pourquoi Laborit rêvait que cette maxime remplace le fameux « Liberté, égalité, fraternité », la fraternité surtout, comme il le dit dans Mon oncle d’Amérique, qui avait fait plus de 500 000 morts en Vendée après la révolution française, la Vendée étant la région natale de Laborit.
Venez voir avec nous, dans l’atmosphère conviviale de l’UPop (il y a de la bière sur place), pourquoi ces deux personnages demeurent si difficiles à classer. Et tout cela est bien sûr gratuit, pour le bonheur de vos neurones… et de votre portefeuille !
Je vous signale en terminant l’ajout, dans la section « La suite… » de notre site sur les influences de Laborit et les projets en cours qui s’inspirent de son œuvre, d’un autre site web qui vient d’être lancé. Il s’agit de celui de l’Institut In>tell>act, un institut d’exploration et de création dans le domaine de la stratégie de vie reconnu par le Ministère de l’Éducation Nationale du Luxembourg.
Son directeur de la formation et de la recherche, Martin Straus, me raconte dans un courriel l’historique de leur démarche basée sur les travaux d’Henri Laborit. Je vous en rapporte un extrait avec son consentement, car il représente bien les espoirs, mais aussi les difficultés, que rencontrent ceux et celles qui s’inspirent de Laborit pour comprendre nos comportements en situation sociale et proposent des moyens d’action pour fuir l’inhibition de l’action que ces situations peuvent générer. Une histoire qui n’est pas sans rappeler les constats pas toujours faciles qu’ont dû faire les professeur.es sujets de la thèse de Marie Larochelle qui leur avait fait lire du Laborit pendant des mois pour voir comment cela influencerait leur pratique.
« Dans ma perception du début, je voulais divulguer chez les enseignants, mes collègues, l’idée de considérer dans leur tâche leur propre stratégie de vie ainsi que celle de leurs élèves. Pour cela, ils devaient d’abord connaître les éléments d’une stratégie de vie. Nous avons donc organisé des formations dans ce sens en leur expliquant le fonctionnement du cerveau et en y ajoutant ce qui nous semblait important, à savoir entre autre les expériences de Laborit avec les rats. (Mon oncle d’Amérique) Dès le début nous avons dû constater que cette attitude vis-à-vis de leur enseignement apporterait certains changements dans leur travail pédagogique, ce qui n’était pas au goût de tout le monde. Ils ont pris la formation, mais ils ne l’ont pas mis en pratique. (gratifications)
Face à ce refus de changer de la plupart des enseignants, nous avons orienté notre objectif vers la vente des outils didactiques que nous avions développés, avec l’idée qu’ils puissent être utilisés par d’autres personnes, des formateurs, des coaches ou des thérapeutes. Eux au moins avaient en principe les connaissances les méthodes et les techniques pour utiliser nos outils à des fins de visualisation, d’orientation et de mémorisation dans leur pratique quotidienne. Ils n’auraient pas à être instruits.
Ils étaient tous d’accord que ces outils étaient intéressants, formidables, originaux et mêmes géniaux…, mais qu’ils n’en avaient pas réellement besoin et que de toute façon ils avaient d’autres approches. C’est à ce moment que nous avons compris que nous étions dans un dilemme entre proposer une nouvelle approche pédagogique basée sur la connaissance de la stratégie de vie ou proposer des outils didactiques neutres, épurés d’une approche pédagogique.
Alors nous avons pris une décision importante. Nous devions de nouveau assembler approche et outils. Mais cette fois les travaux d’Henri Laborit n’étaient plus une partie du programme, mais la base incontournable d’un travail sur la stratégie de vie! Les 4 éléments action – structure – gratification – niveaux d’organisation et les 3 mots – conscience – connaissance – imagination par lesquels Laborit voulait remplacer les mots liberté, égalité, fraternité résumaient tout ce qu’il fallait savoir. C’était clair, c’était facile à comprendre, c’était simple à enseigner et pédagogiquement très efficace. En plus c’était tellement polyvalent qu’à partir de ces 4 + 3 éléments, chaque enseignant, coach, thérapeute ou particulier pouvait construire tout ce dont il avait besoin pour approcher n’importe quelle situation impliquant les relations entre les humains, leurs comportements, leur communication et leur vie sociale. C’était comme un LEGO comportemental. Fini le bla, bla, bla. Génial cher Henri Laborit. »