L’influence de Laborit depuis son décès en 1995 continue de se faire sentir à travers de nombreux articles récents qui m’ont été signalés. Je vous en remercie et vous en présente aujourd’hui quelques-uns en rafale.
Le premier a été publié en 2010 dans la revue Sciences Humaines et s’intitule « Combattre, fuir, subir ? ». L’auteur, Jean-François Dortier, réfléchit sur les épreuves que nous devons tous affronter un jour ou l’autre dans nos vies. Et très vite, il en vient au constat que faisait Laborit dans Éloge de la fuite :
« Confronté à une épreuve, l’homme ne dispose que de trois choix : combattre, ne rien faire ou fuir »
À propos de la fuite, Dortier fait une mise au point essentielle chère à Laborit. Il écrit :
« Dans son Éloge de la fuite, H. Laborit rappelle que la fuite a quelque chose de sain et salutaire.
La fuite n’est pas forcément de la lâcheté : c’est une condition de survie dans le monde vivant. Il n’est pas lâche de vouloir changer d’études si l’on s’est rendu compte qu’elles ne correspondaient pas à ses attentes. Prendre le large, changer de travail, quitter une relation de couple devenu invivable… L’exil, l’évasion et le départ pour un nouveau milieu sont l’un des moteurs de l’histoire humaine. »
Un peu plus loin, Dortier fait aussi une mise en garde sans doute bien connue des lecteurs et lectrices de Laborit, mais encore malheureusement trop souvent ignorée par la majorité de nos contemporains :
« Subir sans ne rien pouvoir faire est, pour H. Laborit, la pire des situations : c’est celle du rat qui reste en cage et doit subir les assauts du rat dominant, celle du prisonnier confiné dans sa cellule, celle de l’élève bouc émissaire qui subit en silence les vexations de petits caïds de l’école, celles du salarié qui se sent incompris et harcelé. La passivité face à l’épreuve est très coûteuse psychologiquement. L’inhibition de l’action (impossibilité de partir ou de combattre) produit des syndromes pathologiques de stress, perte de sommeil, idées obsessionnelles, dépression et troubles somatiques. »
L’article suivant paru en février dernier, « Maslow et Laborit, urbanistes de la Smart City », est signé Étienne Roché. L’auteur soutient que si les villes se sont constituées au cours de l’histoire de l’humanité et tendent toujours à grossir, c’est qu’elles permettent de subvenir aux besoins de l’humain tels que définis par la célèbre pyramide du psychologue américain Abraham Maslow. Des besoins physiologiques de base (manger, boire, s’abriter…) aux possibilités de s’accomplir comme individu (par les arts, la science…) en passant par nos besoins affectifs et d’estime de soi (par nos rencontres avec les autres, notre travail…), la ville offre des possibilités qui permettraient à cette structure de se maintenir et de traverser le temps, pour employer le langage de Laborit.
Mais la ville évolue, et parfois mal, le centre historique se dévitalisant au profit des banlieues et de cette plaie qu’est l’étalement urbain. Et c’est en considérant les options face à ce problème que Roché réhabilite les trois réponses possibles dont on parlait dans l’article précédent qui deviennent, appliquées à ce problème urbain : « Flight, violence or accommodation? ».
Roché y va d’une interprétation assez personnelle de la chose, mais qui ne manque pas d’originalité. L’on pourrait ainsi 1) soit fuir en Utopie (repenser la ville à zéro avec un ordre nouveau s’inspirant des communes et des phalanstères); 2) soit avoir des villes coercitives où l’on tend vers un statu quo maintenu par une violence institutionnelle légitimée (pour le moins peu propice à quelque évolution que ce soit); 3) ou soit ce qu’il appelle la Smart City, une approche où l’on ne ferait pas fi de ce qui existe déjà mais qui serait inclusive vis-à-vis de l’innovation. Il n’est donc pas vraiment question ici d’inhibition de l’action, mais plutôt d’une approche rationnelle où la ville semble considérée comme un système ouvert régulé (il mentionne d’ailleurs la cybernétique et son autorégulation).
La vision de la ville de Roché ne semble d’ailleurs pas être la seule à avoir été influencée par Laborit qui a abordé cette question de front en 1971 dans son livre L’homme et la ville. Les deux articles suivants s’y réfèrent directement. Le premier est une recension de Jean-Noël Biraben parue en 1972 dans la revue Population. J’ai trouvé cet article en cherchant dans le site Cairn.info, une véritable mine d’or d’articles en français, dont une recherche avec le mot « Laborit » donne plus de 300 résultats !
Et le premier de ces résultats est un article tout récent (2015) du philosophe et anthropologue Cyrille Harpet intitulé « L’homme et la ville, approche systémique de l’urbanisme par le neurobiologiste Henri Laborit ». Il y a aussi les nombreuses vidéos de l’INA où apparaît Laborit, mais plusieurs sont payantes (quoique pas trop chères: quelques Euros par vidéo).
D’ailleurs, puisqu’on est dans les questions de droits d’auteur, Éloge de la suite s’est fait retirer la vidéo de l’excellente entrevue de 1993 de Laborit à l’Émission « Noms de dieux » animée par Edmond Blattchen. J’ai écrit il y a quelques jours à Sonuma (les archives audiovisuelles belges qui ont exigé le retrait) pour leur expliquer l’esprit de gratuité et le souci d’accessibilité pour l’œuvre de Laborit qui anime Éloge de la suite (tout y étant également fait de façon bénévole). Mais toujours pas de réponse… Je vous tiens au courant s’ils me répondent positivement où s’ils s’en remettent simplement à leurs règlements comme ce fut le cas pour l’INA.
Bonjour,
Merci pour ce site passionnant, que je découvre en faisant des recherches pour un article pour mon blog dans lequel je m’appuie sur la vision de Laborit.
Juste une petite chose; la plupart des articles académiques sont chers, en effet, mais de plus en plus d’universitaires facilitent l’accès à leurs articles en marge des “grands” pourvoyeurs officiels. C’est le cas je pense de Cyrille Harpet, que l’on peut semble-t-il joindre directement via ResearchGate https://www.researchgate.net/publication/283174175_L'homme_et_la_ville_approche_systemique_de_l'urbanisme_par_le_neurobiologiste_Henri_Laborit
Cordialement,
Thierry