La semaine dernière, je vous avais promis un « gros morceau » pour aujourd’hui en insistant sur la date du 9 décembre. Eh bien voilà : il y aura, à Montréal cet hiver, un film, un cours et une exposition sur Henri Laborit !
Et si je l’annonce aujourd’hui, c’est que l’unique rencontre entre Laborit et Francisco Varela, rencontre qui a été filmée et constitue en quelque sorte le nœud gordien de mon film, a eu lieu un 9 décembre, en 1992…
Parlons d’abord du film, dont la genèse et le tournage avaient été décrits ici lors du lancement du site. Le projet a passablement évolué depuis pour en arriver à la forme un peu inhabituelle que je vous présente aujourd’hui. Intitulé « Sur les traces d’Henri Laborit » comme l’indique l’affiche du film (cliquez dessus pour l’agrandir), il s’agit toujours d’un long-métrage, mais d’un long-métrage en 4 parties. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Sauf que chacune des parties ont une date de sortie différente, et qu’elles sont « attachées » ensemble au fil du temps ! C’est un peu la façon que j’ai trouvée de faire un autre long-métrage indépendant, mais sans que ça me prenne 3-4 ans (car à temps partiel) à rendre public quoi que ce soit.
C’est ainsi que ce qui sera présenté lors de la première le 13 février prochain commencera avec les 7 minutes de « Traces », la première partie sortie le 18 mai 2015, et enchaînera avec le 1h18 de « Biologie », la deuxième partie donc beaucoup plus consistante. Et même chose pour les parties 3 (« Politique ») et 4 (« Éthique ») qui formeront ensemble, dans deux ou trois ans, la version finale complète de « Sur les traces d’Henri Laborit ».
Voici toutefois dès maintenant un synopsis de chacune des 4 parties du film qui donne une vue d’ensemble de ce projet à la fois classique par sa présentation chronologique de la vie des personnages et expérimental dans le “parcours mental” et le work-in-progress qu’il propose…
Sur les traces d’Henri Laborit (un long-métrage en 4 parties)
Traces (1 de 4, sortie le 18 mai 2015)
Cette première partie de 7 minutes sortie le 18 mai 2015 propose d’abord une réflexion sur la notion de trace mnésique. Dans un espace-temps d’abord non identifié, on entend la voix de Laborit qui évoque le renforcement des connexions neuronales qui constituent le substrat physique de notre mémoire.
Alors que cette réflexion s’ouvre sur ce que peut représenter, dans ce cas, nos processus imaginaires, nous nous retrouvons dans une chambre d’hôtel parisienne avec un type qui se demande comment « tout cela » a-t-il bien pu commencer.
Un « tout cela » qui évoque une longue quête qui semble venir tout juste d’aboutir. Le type remonte alors le fil de sa mémoire pour tenter d’identifier le point de départ de ce qui semble l’avoir amené jusque-là.
Après plusieurs faux départs, et pour ne pas remonter jusqu’au Big Bang, il choisit de reculer d’un siècle et de prendre comme point de départ à son histoire l’année 1914. Pourquoi cette année-là ? C’est ce que va raconter la deuxième partie.
Biologie (2 de 4, sortie le 13 février 2016)
Cette deuxième partie de 1 heure et 18 minutes qui sortira le 13 février 2015 est une invitation à suivre les traces laissées par Henri Laborit dans certains systèmes nerveux, dont celui du type de la chambre d’hôtel parisienne…
Au cours de ce périple qui couvre un demi-siècle, on croisera, outre Laborit, plusieurs personnages dont un autre, Francisco Varela, qui a aussi, plus tard, contribué à façonner ce même système nerveux.
Or Laborit et Varela se sont rencontrés, une fois, une seule, lors d’un événement organisé par Michèle Duzert (personnage important de la 3e partie de cette histoire). Et la rencontre a été filmée ! Sauf que lorsque le type parvient enfin à visionner ce fameux vidéo (jamais encore diffusé publiquement), il constate à son grand désarroi que les deux scientifiques ne se sont pas compris du tout.
Vingt ans après ce véritable « clash », alors que les deux sont maintenant décédés, le type tente désespérément de donner du sens à ce rendez-vous manqué.
Cela l’amène à revisiter les traces d’un troisième personnage, Roland, né en 1914 comme Laborit, et pièce essentielle de ce casse-tête. Car c’est lui, au fond, qui rend possible toutes ces associations, comme on le découvre au terme de cette enquête biographique.
Enquête qui se termine sur un espoir de compréhension de « tout cela », mais à condition de passer du niveau biologique au niveau politique, ce que racontera la troisième partie.
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Politique (3 de 4, sortie à venir)
Cette troisième partie à venir sera surtout marquée par l’effervescence politique des années 1960 et 1970, années où Laborit publie plusieurs ouvrages qui, s’enracinant dans la biologie et la longue évolution qui a mené jusqu’à nous, s’ouvrent sur le social et le politique, qui ne sont pour lui qu’un niveau de plus dans l’organisation du vivant.
Le vivant qui est à cette époque mieux compris grâce au concept d’autopoïèse mis de l’avant au Chili par Humberto Maturana et son étudiant devenu son collègue, Francisco Varela. Ce moment de grande créativité scientifique sera brisé par le coup d’état de 1973 de Pinochet (appuyé par la CIA) et la mort du président Allende dans les circonstances que l’on sait.
Forcé de s’exiler, d’abord aux États-Unis puis en France, Varela continue ses recherches en sciences cognitives et s’intéresse aux pratiques méditatives orientales et à l’aspect incarné de la cognition.
C’est ce qui va lui faire croiser le chemin de deux femmes, Hélène Trocme-Fabre et Michèle Duzert, elles aussi insatisfaites de ce qui s’offrent à elles à l’époque dans leur enseignement. Deux femmes qui ont d’abord été chercher des réponses à leurs questions auprès d’Henri Laborit, puis de Francisco Varela. Jusqu’à ce que Michèle décide d’organiser cette fameuse rencontre entre les deux le 9 décembre 1992, moment où cette troisième partie va prendre fin.
Éthique (4 de 4, sortie à venir)
Cette quatrième partie à venir couvrira le dernier quart de siècle de ce film se déroulant sur 100 ans (la partie 2 en ayant couvert la première moitié, et la partie 3 le troisième quart).
Laborit va s’éteindre en 1995 à l’âge de 80 ans, Varela en 2001 à l’âge de 54 ans et Roland en 2002 à l’âge de 88 ans. Et ils laisseront derrière eux des traces. Des traces écrites et des traces synaptiques qui animent et inspirent encore nombre de systèmes nerveux, dont celui du type que l’on retrouve dans sa chambre d’hôtel parisienne.
Que peut-il conclure de toute cette aventure ? L’aventure de vies humaines qui cherchent à comprendre pourquoi elles sont là. Qui cherchent ensuite, quand elles croient avoir trouvé quelques pistes valables, à influencer leurs contemporain.es dans cette voie. Et qui, à l’approche du terme de leur brève existence, s’en remettent aux traces qu’ils ont pu laisser dans la mémoire de certains types pour que ceux-ci fassent à leur tour un éloge de la suite…
Ce faisant, ce type porte encore un jugement de valeur, influencé en cela, lui rappellent ses traces de Laborit, par tout ce que son parcours de vie a gravé dans son système nerveux. Que peut-il souhaiter alors, en suivant cette fois Varela, sinon que cette dérive évolutive nous mène vers quelque chose de simplement viable ?
Qu’il y ait, en bout de ligne, quelque chose plutôt que rien. Quelques traces de « tout cela ».
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Pour ce qui est du cours maintenant, c’est, encore une fois, un peu atypique. Dans le sens où il s’agit de 3 séances dont la première est le combo « projection du film / exposition sur l’œuvre de Laborit », tout cela jumelé avec 2 autres cours sur un autre personnage qui a marqué le XXe siècle, Walter Benjamin, et le tout sous l’égide de cette formidable initiative qu’est l’UPop Montréal, une université libre et gratuite dans les bars et les cafés de Montréal ! Ouf…
Tout cela deviendra plus clair (enfin, je l’espère) à la lecture de la présentation générale du cours et des résumés de chacune des 3 séances sur Laborit qui apparaîtront sur le site web de l’UPop Montréal et que je reproduis ici. Vous comprendrez entre autres pourquoi Walter Benjamin arrive dans le décor et vient ajouter une couche de plus à cette aventure. Et vous découvrirez enfin quelle est cette exposition sur la vie et l’œuvre de Laborit qui sera accessible du 9 au 24 février 2016 à la salle l’Auditoire, à Montréal.
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Titre du cours : Walter Benjamin et Henri Laborit : deux inclassables du XXe siècle qui dérangent encore
Présentation générale du cours
Ce cours est le résultat de rencontres fulgurantes entre individus. Carlos Ferrand, cinéaste (Américano, 2008) est fasciné depuis ses études par Walter Benjamin et prépare depuis des années un film sur ce personnage. Bruno Dubuc, vulgarisateur scientifique et également cinéaste à ses heures, a été pour sa part grandement marqué par la pensée d’Henri Laborit à propos duquel il vient de réaliser un film.
La 3e rencontre qui va concrétiser ce cours survient il y a un an, quand Dubuc contacte Ferrand pour lui demander l’autorisation d’inclure sur son site web www.elogedelasuite.net consacré à la vie et l’œuvre de Laborit l’un de ses films dans lequel Laborit fait plusieurs interventions. Quelques échanges et dîners chaleureux plus tard naissait ce projet qui s’est imposé devant l’urgence de raconter ces deux personnages au-delà de ce que peut montrer un film. Deux personnages qui, malgré des univers très différents, se rejoignent par l’originalité de leur pensée et le caractère multidisciplinaire de leur œuvre.
Ce cours propose donc une facette de plus à deux work-in-progress en cours depuis déjà un bon moment en faisant se rencontrer Benjamin et Laborit par leurs cinéastes interposés. Deux séances sur Benjamin données par Carlos Ferrand s’ajouteront donc à trois séances sur Laborit données par Bruno Dubuc. On espère ainsi faire mieux connaître ces deux penseurs inclassables du XXe siècle et montrer comment leurs constats lucides sur notre monde est plus que jamais criant d’actualité.
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Petite note biographique sur chacun des personnages :
Walter Benjamin (1892-1940), celui que Susan Sontag présente comme « le dernier intellectuel européens » est à la fois fils de Marx et de Moïse, ami de Brecht, de Scholem, d’Arendt, d’Adorno et frère de coeur de Baudelaire et de Kafka. Il fut, entre autres, le premier introducteur et traducteur de Kafka en France et le premier traducteur de Proust en allemand. Son oeuvre principale est le fameux Livre des Passages (Passagenwerk), ensemble kaléidoscopique déroutant constitué à 80% de citations de différents auteurs qui laissent affleurer les séductions de toute une vie. Il invente la modernité dans cette œuvre exceptionnelle qui récuse les systèmes, abolit les frontières entre les disciplines, explore nombre de formes, donne au fragment, à l’inachevé, à la citation, leurs lettres de noblesse.
Pour sa part, Henri Laborit (1914-1995) fut d’abord chirurgien de la marine française où il bouscula plusieurs concepts de la médecine. Par la suite chercheur en neurobiologie, il introduisit la chlorpromazine en psychiatrie. La découverte de ce premier tranquillisant lui valut le prix Albert Lasker, l’équivalent américain du prix Nobel. Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages spécialisés ou destinés à un public plus large, il s’est intéressé à tous les niveaux du comportement humain, de la molécule à l’ensemble social. Il fut en ce sens un pionnier de l’approche multidisciplinaire dont se réclament aujourd’hui les sciences cognitives (à une époque où c’était encore mal vu). Le long-métrage d’Alain Resnais Mon oncle d’Amérique, prix du jury au festival de Cannes en 1980, est construit à partir de certaines thèses de Laborit qu’il défend lui-même dans le film.
Séance 1 : Première du film « Sur les traces d’Henri Laborit » et vernissage de l’exposition « De l’hibernation artificielle à la psychopharmacologie »
Date : samedi le 13 février 2015
Ce premier rendez-vous est très différent des séances suivantes de ce cours qui auront le format plus standard de l’UPop, c’est-à-dire une heure de présentation suivie d’une heure de questions de d’échanges. Voici comment il se déroulera.
19h Ouverture des portes et vernissage de l’exposition « De l’hibernation artificielle à la psychopharmacologie ». Il s’agit d’une exposition de 13 panneaux mettant en valeur la place fondamentale mais oubliée des découvertes d’Henri Laborit dans l’histoire de la médecine du XXe siècle. Les 10 premiers panneaux sont des reproductions d’originaux qui ont été créé à partir de documents des archives Laborit conservées à l’université Paris-XII Val de Marne. D’octobre 2000 au printemps 2001, cette exposition itinérante a été vue dans quatre villes françaises. Les 3 derniers panneaux ont été créés à Montréal en 2015 pour compléter le tour d’horizon de l’œuvre de Laborit. Enfin, chaque panneau est assorti d’une citation de Laborit sur le biologique, le politique ou l’éthique qui rappelle l’aspect multidisciplinaire du personnage.
19h45 Quelques mots sur la démarche ayant conduit au film « Sur les traces d’Henri Laborit » et sur le site web Éloge de la suite (www.elogedelasuite.net) qui lui est associé. Je tenterai de montrer comment les deux forment un tout organique et comment l’un n’aurait pas pu exister sans l’autre. Le format particulier du film en 4 parties et le moment de leurs sorties respectives seront aussi rappelés.
La première partie intitulée « Traces » (7 minutes) est sortie sur le site web Éloge de la suite le 18 mai dernier, jour du 20 anniversaire du décès de Laborit. La deuxième partie a pour titre « Biologie » (1h18) et couvre les années 1914 à 1965. Ce sont donc ces deux premières parties formant un tout qui seront présentée le 13 février.
La troisième partie à venir s’appellera « Politique » et ira de 1965 au 9 décembre 1992. Et la quatrième partie aura pour titre « Éthique », commencera le 9 décembre 1992 et ira jusqu’à aujourd’hui. Vous aurez donc compris que les 4 parties formeront, à terme, un tout qui racontera l’histoire entremêlée de plusieurs personnages de 1914 à aujourd’hui.
20h Projection du film (durée : 1h25)
21h30 Discussion et échanges
Séance 2 : Les intuitions de Laborit sur le cerveau qui se confirment aujourd’hui
Date : à venir, mais vers la fin février
Cette séance veut montrer, à travers plusieurs exemples, comment certains travaux de Laborit trouvent aujourd’hui un écho important dans la recherche contemporaine en neurosciences. Les cellules gliales, sur lesquelles Laborit a beaucoup travaillé, reçoivent ainsi aujourd’hui l’appellation de « l’autre moitié du cerveau » car on commence à s’apercevoir qu’elles contribuent énormément à la communication neuronale. Même chose pour son travail précurseur dans l’identification de différents « faisceaux » nerveux et son approche évolutive à partir du cerveau « triunique » de MacLean. Que peut-on garder de tout ça aujourd’hui ? Et comment les outils d’imagerie cérébrale dont ne disposait pas Laborit nous ont-ils permis d’aller plus loin ? Enfin, nous verront comment l’une des contributions les plus importantes de Laborit, le concept d’inhibition de l’action, n’a pas pris une ride et est confirmé jour après jours par toute la neuro-psycho-immunologie contemporaine sans qu’on en saisisse encore réellement toute la portée émancipatrice pour l’individu mais dangereuse pour le pouvoir en place. Ceci, bien entendu, expliquant cela.
Séance 3 : « Liberté, égalité, fraternité » ou « Conscience, connaissance, imagination » ?
Date : à venir, mais vers le début avril
Laborit a souvent dit qu’il faudrait remplace la devise française « Liberté, égalité, fraternité » par « Conscience, connaissance, imagination ». Cette séance tente d’expliquer cette position qui peut paraître à première vue surprenante. Nous tenterons d’abord de décortiquer la belle maxime française de voir ce que recouvrent ces mots au-delà des bonnes intentions. Qu’est-ce que les neurosciences ont par exemple à dire sur la notion de libre arbitre ? Comment parler d’égalité dans un monde qui s’emploie essentiellement à reproduire les échelles hiérarchiques de dominance ? Que reste-t-il de la fraternité dans un monde de guerres alimentées par les puissances économiques ? Nous verrons ensuite, par contraste, toute la portée subversive du leitmotiv laboritien. Après avoir donné un aperçu des modèles actuels de la conscience humaine en sciences cognitives, diverses expériences seront présentées pour montrer à quel point nombre de nos comportements sont automatisés et comment il faut se méfier de notre langage conscient toujours prompt à fournir des alibis langagiers à nos motivations inconscientes. Quelques idées de Laborit sur la connaissance seront ensuite abordées à travers son ouvrage « La société informationnelle. Idées pour l’autogestion ». Et nous concluront en mettant en parallèle certaines conceptions de Laborit et de Francisco Varela sur la nature humaine, et en particulier sur l’imaginaire.
Les 2 autres cours donnés par Carlos Ferrand sur Walter Benjamin auront lieu au mois de mars Les descriptions de ces cours seront sur le site de l’UPop Montréal à la fin janvier.
Superbe! … Voilà qui met déjà l’eau à la bouche… MERCI Bruno pour ce morceau de choix.
… En espérant que tout cela contribuera à populariser advantage Henri LABORIT auprès d’un plus large public…
Magnifique travail. Bravo. Bel hommage rendu à un des hommes les plus intelligents de l’espèce humaine depuis son origine, au moins sur le plan intellectuel, pour l’émotionnel, c’est à discuter… 😉
Bonjour Bruno
Tu m’impressionnes vraiment. Je te dis bravo pour tout ce boulot de synthèse et d’originalité qui fait de toi un oncle de l’Amérique qui nous enrichit et nous en met plein la vue pour une bonne cause : notre évolution personnelle et collective.
Merci et surtout au plaisir de voir et d’entendre tout ce beau cadeau pour l’esprit et le coeur.
Pierre Varin