Cet article est dédié à nos ami.es français, durement éprouvé.es par les attentats du 13 novembre dernier. Il comporte deux sujets à première vue non reliés. Mais le caractère dérangeant du film et de l’article proposés porte tous deux ce qu’on pourrait appeler la « griffe de Laborit »…
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D’abord le film. Il s’agit d’une projection de Mon oncle d’Amérique, le film d’Alain Resnai, qui aura lieu mercredi prochain le 2 décembre au cinéma Le Grand Action, au 5 rue des Écoles dans le quartier latin à Paris. Grand prix du Festival de Cannes en 1980, le film expose, à travers les parcours entrecroisés de trois personnages, quelques idées essentielles de Laborit sur les comportements humains, en particulier l’inhibition de l’action.
La projection s’inscrit dans le cadre du Ciné-Club Univers Divergent et sera suivie d’une discussion. Le Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI) impliqué dans l’événement écrit ainsi sur son site web :
“Pour cette dernière séance de l’édition 2015 du ciné-club Univers Divergent, nous aurons la chance de compter parmi nous Bruno Latour, éminent sociologue et philosophe des sciences, qui se joindra à François Taddei [biologiste] et Jean-Michel Frodon (critique de cinéma) pour aborder le film d’Alain Resnais. […] Que peut-on en dire au regard de la connaissance scientifique actuelle ?
L’occasion de (re)découvrir un grand film d’Alain Resnais et de suivre un débat qui s’annonce passionnant. Comme d’habitude, la séance sera suivie d’une collation offerte. Les séances sont au tarif normal d’une séance de cinéma, les cartes illimitées sont acceptées.”
J’envie nos ami.es français.es qui pourront assister à cette soirée (dont “l’événement Facebook” est ici). Je me demande même si, à la suggestion d’un lecteur du site (Pierre Rolland, qui m’a signalé l’événement et que je remercie ici), il ne serait pas envisageable de filmer l’échange qui suivra la projection pour ensuite le mettre sur Éloge de la suite pour en faire bénéficier le plus grand nombre gratuitement ? Si jamais la chose est envisageable malgré les délais très courts, M. Rolland, qui habite Paris et sera à la soirée, se dit disponible pour aider à organiser la chose… Bref, merci de communiquer avec moi s’il y a la moindre possibilité de concrétiser la chose !
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Pour ce qui est de l’article maintenant, il porte “la griffe de Laborit” de façon indirecte, en ce sens qu’il a été écrit par Pierrick Tillet, alias le Yéti, dont on a signalé les influences laboritienne ici il y a quelques semaines à peine. On y signalait aussi son activité de blogueur sur le site de l’hebdomadaire français Politis où il signait le 15 novembre dernier, deux jours après les attentats de Paris, un billet intitulé “Terrorisme : notre irresponsable part de responsabilité“. Très critique de la réaction va-t-en-guerre du gouvernement français après les attaques, son article proposait “de nous interroger sur les raisons et les responsabilités qui ont déclenché ce désastre.”
Tillet n’y allait pas par quatre chemins. À preuve, ces premières lignes de son article :
“« C’est la guerre ! » entend-on clamer de toute part. La nation doit s’unir et mener une guerre impitoyable au terrorisme !
C’est aller bien vite et imprudemment en besogne. Et oublier que « c’est nous qui avons déclaré la guerre », pour reprendre les termes de Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France), maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
Guerre d’abord contre les autorités légitimes des pays du Moyen-Orient, sous le prétexte d’une croisade pro-démocratique (mais bien plus sûrement pour mettre la main sur leurs immenses ressources énergétiques). On peut penser ce qu’on veut de Saddam Hussein (Irak), de Mouammar Kadhafi (Libye) ou de Bachar el-Assad (Syrie), ceux-là étaient non seulement des dirigeants légitimes, mais ils garantissaient alors leur région de l’épidémie islamiste.
Guerre ensuite contre les monstruosités islamistes que nous avons déclenchées, quand nous ne les avons pas soutenues, armées et encouragées, en jurant de la « modération » sous contrôle de certaines d’entre elles.”
Trois jours après, le Yéti n’était plus blogueur chez Politis, un hebdomadaire pourtant considéré comme passablement à gauche en France. Dans son dernier billet, il écrit :
“Suite à une conversation avec Denis Sieffert, directeur de Politis, il a été décidé de mettre un terme à notre collaboration pour divergences d’opinion entre la ligne éditoriale de Politis et celle exprimée sur mon blog, notamment sur certains sujets comme la situation au Moyen-orient.”
S’ensuivaient quelques remerciements d’usages. Comme quoi un esprit indépendant rappelant que le roi est passablement à poil ne peut pas faire long feu dans les hiérarchies de pouvoir. Et c’est ici qu’on pense à Laborit et, bien sûr, à son Éloge de la fuite. Le Yéti a décidément tout compris.