En fouillant autour d’Henri Laborit sur le Net il y a quelques jours, je suis tombé sur cet excellent petit billet écrit par Le Yéti sur la toujours très grande actualité d’Éloge de la fuite un siècle après la naissance de son auteur. Ce « Yéti », c’est la prononciation inverse des deux syllabes du patronyme de Pierrick Tillet, comme l’explique lui-même sur son blogue celui qui fut tour à tour éditeur de musique, illustrateur, dessinateur humoristique, éditeur de livres indépendant et de manuels scolaires.
Il utilisait ce pseudonyme avant sa retraite récente pour distinguer ses affaires professionnelles de ses activités de chroniqueur, notamment dans la revue française Politis. Sa dernière chronique percutante intitulée « Air France : la violence comme seule et ultime arme des salariés » nous fait un peu comprendre ce choix judicieux. Comme elle permet de voir l’influence profonde que semble avoir eu Laborit et l’Éloge de la fuite sur Tillet qui écrit, pour introduire son article « Henri Laborit aurait 100 ans : “Éloge de la fuite” ou la révolution permanente » :
« Henri Laborit participa jadis au film d’Alain Resnais, “Mon oncle d’Amérique” (1980), avec Roger Pierre, Nicole Garcia et Depardieu. Son intervention y était si lumineuse que je la repris en feuilleton lors de l’été 2008. En temps de crise, je dégaine toujours mon Laborit. »
Avant de dire quelques mots sur cet article, signalons que le feuilleton dont il est question ici est ni plus ni moins que la retranscription intégrale des interventions de Laborit dans Mon oncle d’Amérique en six parties dont voici le sommaire avec les titres cliquables renvoyant à chacune des pages :
- Les trois cerveaux
2. Les autres
3. Punition
4. Le mur du langage
5. Inhibition de l’action
6. L’inconscience
Pour ce qui est de “Éloge de la fuite” ou la révolution permanente », Tillet évoque d’abord fort justement le thème crucial du bouquin, à savoir :
« notre indécrottable difficulté à nous extraire des échelles hiérarchiques pré-établies et des grilles de convenances imposées par le système dominant. »
S’ensuit quelques phrases assassines sur les conséquences politiques actuelles de cette méconnaissance de nos motivations profondes telle que présentée dans l’Éloge de la fuite :
« Les oppositions politiques ou syndicales n’ont généralement pour but que de chercher à remplacer les vieilles grilles par des nouvelles de leur cru, tout aussi haïssables. Quand elles n’y parviennent pas, elles se résignent rapidement et se dissolvent dans l’ordre établi qu’elles prétendaient contester, soupapes commodes chargées d’évacuer les trop-pleins d’insupportation populaire.
Tous ceux qui sont expulsés de cette course à la dominance sont voués à s’étioler et à se racornir. À se punir à coups de stress et de maladies psychosomatiques. À se réfugier dans des croyances religieuses puériles, des emportements nationalistes régressifs, des explosions de violence aveugle. »
Dans ces conditions, Tillet pense toujours que la révolte est nécessaire et légitime, mais s’empresse de rappeler la mise en garde de Laborit qui écrivait :
« Car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe. »
Et qui notait ailleurs que nos problèmes viennent beaucoup du fait que nous sommes très prompts à justifier ces hiérarchies interindividuelles par de beaux alibis langagiers conscients alors que les motivations profondes en demeurent totalement inconscientes.
Le texte du Yéti est déjà tellement synthétique qu’il mérite le détour et je ne vais pas le citer ici en entier. Mais je vous laisse avec ce dernier extrait, « pour la route »…
« La fuite dont parle Laborit ne relève pas du sauve-qui-peut impuissant, d’un piteux retour en arrière. Elle est une marche continuelle vers l’avant, une remise en cause permanente des situations établies, une fuite loin des pouvoirs en place, y compris et surtout ceux que nous avons nous-mêmes contribué à installer. »