Ce n’est pas la première fois qu’une personne découvrant Éloge de la suite m’écrit pour me proposer des documents sur Laborit. Après l’émission de la radio communautaire de Québec, c’est maintenant M. Marc Lauzin qui m’écrit :
“Je ne sais pas si cela peut vous intéresser mais j’ai les photocopies de deux articles, l’un paru dans le journal « Le Monde » du 29/11/1977 signé par Pierre Drouen et l’autre paru dans une revue écolo aujourd’hui disparue « Le Sauvage ».
Vous trouverez en pièce jointe ces deux articles sur Henri Laborit que j’avais photocopiés il y a bientôt 40 ans! »
Un grand merci, donc, à M. Lauzin pour ces deux articles qui couvrent une période (la fin des années 1970) où j’ai justement un peu moins de documents sur Laborit.
L’article du Monde est donc de novembre 1977 et celui du Sauvage de janvier 1978. Deux médias fort différents, le premier étant un quotidien français dit « de référence », longtemps le plus diffusé à l’étranger, le second étant un mensuel écolo à l’histoire plus chaotique (mais toujours vivant sur le Net). Les deux vont donner, on s’en doute, deux articles fort différents aussi. Mais les deux ont aussi beaucoup en commun : le regard lucide sur notre monde d’un Laborit qui commence à être bien connu du grand public, quelques années à peine après la parution de deux de ses ouvrages phares, La nouvelle grille (1974) et Éloge de la fuite (1976).
Le fait que Laborit puisse se retrouver autant dans la presse « mainstream » et dans une revue d’écologie politique abordant des thèmes anti-productivistes comme la surconsommation et la critique de la croissance témoigne également de la portée de sa réflexion.
Dans l’article du Monde, cette réflexion débute par une mise en garde contre les analogies faciles que l’on pourrait faire en passant du biologique au sociologique. Pour Laborit, il n’y a pas d’analogie à faire, mais plutôt d’essayer de voir pour chaque niveau d’organisation du vivant,
« comment les régulations de cet organisme vont être commandées et comment dans leur ensemble, ces régulations vont réagir les unes sur les autres, en fait comment s’organise l’écologie humaine, quelles sont les commandes du groupe social, des ensembles sociaux sur l’individu et de l’individu sur ces ensembles sociaux. »
Une approche cybernétique des systèmes tant biologiques que sociaux où l’on doit discerner, nous rappelle encore une fois ici Laborit, les différents niveaux d’organisation qui s’influencent l’un l’autres.
À une question qui lui est posée sur l’angoisse, Laborit montre ensuite comment celle-ci découle de l’impossibilité d’agir, d’agir pour se faire plaisir. Plaisir qu’il distingue du bonheur qui, pour lui, nécessite le désir, qui à son tour fait appel à l’imaginaire. Des liens qui sont plus développés dans l’article, et encore plus dans ses bouquins, on s’en doute bien.
Quand on le branche sur la fameuse devise « Liberté, égalité, fraternité », là Laborit s’en donne vraiment à cœur joie, affirmant que
« c’est avec ces mots-là qu’on fait des génocides, des guerres, que l’Homme exploite l’Homme. »
J’ai tenté ailleurs de résumer la position implacable de Laborit sur le libre arbitre, à savoir que c’est parce que nous pouvons tenir des discours conscients pour justifier nos motivations inconscientes (déterminées par notre biologie et notre histoire de vie) que nous sommes amenés à croire à cette notion de liberté, et comment celle-ci peut déboucher rapidement sur l’intolérance la plus meurtrière.
Le passage qui suit sur l’égalité débouche rapidement sur la notion de propriété, une notion apprise car, comme le dit Laborit :
Et quand on lance Laborit sur la notion de fraternité, c’est à une tirade anti-colonialiste que l’on a droit :
Questionné ensuite sur les bases de sa morale, Laborit répond :
En prenant soin de préciser que les connaissances les plus utiles ici sont sans doute celles qui nous permettent de comprendre notre système nerveux et les lois qui l’animent. Avec surtout, ce qui découle de ces lois, c’est-à-dire :
« une technologie qui aboutit, dans l’ignorance de ce que nous sommes, à des pouvoirs, à des dominances. »
L’article se termine sur notion de pouvoir où Laborit s’emploie à distinguer cette notion de celle de fonction, qui n’a aucune raison d’être liée à un pouvoir.
Cette réflexion, qui est au cœur de son ouvrage La société informationnelle. Idées pour l’autogestion, publié en 1973, constitue en quelque sorte un lien naturel vers l’article de la revue Le Sauvage où, orientation de la revue oblige, on parle beaucoup de cette question :
Le style d’écriture de cet entretien diffère de celui du Monde et laisse davantage, on le sent, les idées anarchistes et révolutionnaires de Laborit s’exprimer. Et l’on voit à quel point, pour ce dernier, l’autogestion ne peut être possible que si chaque personne a accès à une information généralisée permettant de mettre les choses en contexte, toujours selon les différents niveaux d’organisation que l’on peut identifier.
Et, en guise de conclusion, toujours se poser la question de la finalité, tout en évitant les dogmatismes :
Au-delà de son style provocateur, quelle merveilleuse boussole mentale Laborit nous a offert pour nous aider à nous orienter dans ce merveilleux univers socio-culturel dans lequel le hasard de notre naissance nous plongé.