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« Conscience, connaissance, imagination », entretien vidéo inédit avec Laborit

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Photo prise lors d’un hommage rendu à Laborit à Paris en octobre 1994 suite à la parution de La légende des comportements. De gauche à droite : Jeannine Cordon, Geneviève Laborit, Henri Laborit, Michèle Duzert

J’ai le plaisir de mettre en ligne aujourd’hui un vidéo de 56 minutes où Michèle Duzert s’entretient avec Henri Laborit en 1989 au bureau de son laboratoire de Boucicaut. Produit par le Centre national d’éducation à distance (CNED) de Rennes où Mme Duzert enseignait, ce document n’était jamais sorti des murs de cette institution. C’est suite aux démarches de Mme Duzert que nous avons l’autorisation de le rendre public, et je la remercie chaleureusement pour cela.

L’histoire de ce qui a mené à cette rencontre est fascinante et fera partie du film en préparation autour de ce site web, film dont la bande-annonce a été lancée lundi dernier pour souligner le 20e anniversaire du décès de Laborit. Mais simplement pour expliquer un peu pourquoi l’entretien tourne autour de la question de l’enseignement et de ce qu’il devrait transmettre pour Laborit, j’aimerais raconter cette petite anecdote que Mme Duzert m’a confiée lorsque je l’ai rencontrée pour le tournage du film en juillet 2012.

À l’époque enseignante d’éducation physique atypique faisant davantage la promotion d’une éducation corporelle globale, ce qui n’était pas sans provoquer son lot d’incompréhensions parmi ses collègues, Michèle Duzert voit un jour par hasard Laborit à la télévision qui lance, fidèle à son style provocateur, quelque chose comme :

« les enseignants sont nuls pour enseigner parce qu’ils ne connaissent pas le fonctionnement de leur propre cerveau… ».

Pour Michèle Duzert, cette phrase a fait « tilt » dans son cerveau, justement ! Elle qui disait justement à ses collègues professeurs d’éducation physique depuis un bon moment déjà qu’ils devraient chercher lors de leurs stages à en apprendre davantage sur ce qu’on sait sur le cerveau… Bref, quand elle a entendu Laborit lancer ça, elle s’est dit qu’il fallait qu’elle rencontre ce monsieur. Et après bien des démarches (il n’y avait pas Internet à l’époque!), elle a réussi, grâce entre autres à la secrétaire de Laborit, Mme Jeannine Cordon, à le rencontrer, puis à organiser le tournage de cet entretien que voici :

L’entretien commence doucement, avec un Laborit qui prend le temps au début de montrer comment le moindre comportement se construit à partir d’un système nerveux constitué de nombreux niveaux d’organisation. Puis Laborit s’anime rapidement lorsqu’il parle par exemple de la thèse de Marie Larochelle qu’il a codirigé à l’Université Laval, à Québec, en 1984 (et dont on aura l’occasion de reparler ici très bientôt…).

À partir de 8 :30 environ, il relate donc cette expérience fascinante où une quinzaine de professeurs ont lu pendant des mois du Laborit pour mieux comprendre l’origine de leurs comportements et leurs motivations réelles, entre autres à enseigner. Expérience troublante dans un premier temps pour les participant.es, mais très heureuse par la suite, se rappelle Laborit. Jusqu’au jour de la soutenance où celui-ci a rappelé à quel point leur petite rédemption personnelle était peu de chose si les systèmes englobants, leur famille, leur société, leur État, etc. continuaient à ne valoriser que la fabrication de marchandise qui aboutit en bout de ligne à la destruction de la biosphère. Pas toujours commode, le père Laborit…

Michèle Duzert fait alors remarquer à Laborit que ce n’est pas évident dans ce contexte pour des enseignantes de promouvoir une autre finalité qui serait favorable à l’ensemble de l’espèce humaine. Ce qu’admet volontiers Laborit en rappelant qu’entre l’individu et l’espèce, il y a toujours des groupes sociaux en compétition. Et Laborit de se moquer de belles expressions comme « l’égalité des chances » qui ne sont au fond, dans nos sociétés, que comme « l’égalité des chances à devenir inégaux » !

On apprend plein d’autres choses intéressantes au fil de cet entretien. Comme l’existence d’une autre thèse sur les idées politiques d’un biologiste, Henri Laborit, publiée en 1983 à Aix-en-Provence, par un sociologue anthropologue. Ou encore l’existence d’un petit livre, en préparation à l’époque, pour un éditeur québécois, et qui visait à expliquer la biologie à des enfants de 8 ans ! (en passant si quelqu’un aurait des détails sur ces deux ouvrages, je suis preneur…)

Toujours avec les enfants, mais plus âgés, de 12 à 14 ans, Laborit raconte comment son ami Claude Grenié l’a invité à plusieurs reprise dans sa classe pour leur expliquer des notions de biologie essentielles pour comprendre notre cerveau, et comment ces notions étaient aisément comprises par des jeunes non encore conditionnés à la compétition marchande comme but ultime de l’existence…

Vers la 48e minute, Laborit montre que la créativité rendue possible par les vastes régions « associatives » de notre cortex cérébral, et en particulier la créativité scientifique, a commencé dès le moment où un individu du genre homo s’est entaillé le genou sur une pierre en trébuchant et a alors compris que le silex était plus dur que la peau. Il a alors pensé le mettre au bout d’un bâton et a pu s’en servir pour chasser le mammouth (pour le dire rapidement).

Voilà ce qu’il faudrait continuer à favoriser à l’école, selon Laborit, et non ce qu’on lui dit de mémoriser et qu’il « vomit sur une feuille blanche pour sortir d’une grande école », pour le dire avec le langage imagé de Laborit…

Favoriser la créativité scientifique et la rigueur que l’expérimentation lui impose, mais aussi d’autres formes de créativité. Et en amant de la poésie qu’il était aussi, Laborit termine en citant les conseils de Verlaine sur la créativité, mais poétique cette fois, « où l’imprécis au précis se joint ».

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