Pour ce qui est de l’histoire de la genèse de ce livre, Laborit l’évoque dans la préface de l’ouvrage en rappelant que deux éditeurs lui avaient demandé vers la fin des années ’70 d’écrire ses mémoires scientifiques. Mais Laborit avait refusé parce que pour lui, et je cite : « la façon dont l’homme se voit est toujours profondément suspecte. »Et ça, il l’avait déjà dit en préface de l’Éloge de la fuite, publié en 1976, où l’éditeur lui avait demandé un autoportrait comme à tous les autres auteurs de cette collection. Et Laborit avait expliqué dans ce premier chapitre de l’Éloge de la fuite pourquoi il considérait que c’était malhonnête de se présenter à ses contemporains. Et dans la préface de l’Alchimie de la découverte, il explique pourquoi il a accepté cette fois que Fabrice Rouleau écrive sa biographie.
« À partir du moment où la biologie comportementale nous amène à prendre conscience de cette falsification, il est préférable que ce soit un autre qui écrive non pas seulement ce que j’ai pu lui dire mais ce que d’autres […] m’ont vu vivre […]. La diversité des éclairages ne peut être qu’un facte ur important de la véracité des opinions. »
Et cette diversité des sources, je pense en effet qu’elle est toujours souhaitable, pas seulement pour écrire une biographie, mais aussi pour tenter de comprendre l’actualité en lisant les journaux ou Internet le matin… Laborit explique ensuite qu’il n’est pas toujours d’accord avec ce que Rouleau dit de lui, mais s’empresse d’ajouter : « Et c’est ce qui fait peut-être l’intérêt d’un tel livre car il permet d’analyser aussi bien l’objet d’observation que l’observateur, l’affectivité sociologiquement déformée de l’un et de l’autre. »
Laborit accepte donc de se confier à Fabrice Rouleau pour faire ce livre en 1982, alors qu’il a 68 ans qu’il est pour ainsi dire « au sommet de sa gloire », avec cet espoir qu’il formule dans le dernier paragraphe de sa préface : « Même en sachant que cette vie n’est rien, elle est tout pour moi. En conséquence, bien qu’essayant d’y mettre le plus de lumière possible, le moins d’affectivité, je pense qu’il n’est pas inintéressant d’en faire la synthèse et peut-être cette synthèse plus concrète, mieux rassemblée, pourra, elle, être utile à d’autres hommes à venir qui se trouveront sans doute devant les mêmes problèmes que ceux qui se sont posés à moi. »