Le passage récent du physicien Yves Sirois au Québec, sur lequel je vais revenir dans un instant, m’a fait repenser à l’article “La science rend-elle heureux ?” que j’avais mis sur ce site une semaine après son lancement. Publié dans la revue Psychologies en juin 1988, Laborit y parlait entre autres de son plus récent livre à l’époque, Dieu ne joue pas aux dés :
“Je l’ai écrit dans un désir de me relier à la fois au cosmos et à l’infiniment petit dont nous sommes tous faits. En me situant mieux, j’espère parvenir à moins m’impliquer dans des événements qui n’en valent pas la peine. En ce sens, acquérir des connaissances, opérer des recherches, m’a effectivement aidé à mieux vivre. Mais je ne sais pas si cela peut aider les autres également.”
“Tout le livre est construit autour de l’idée de niveau d’organisation. C’est une notion qui a guidé ma vie, tant quotidienne que professionnelle, depuis trente-cinq ans. Cette notion évite que l’on fasse du réductionnisme. […] L’important, c’est que chaque démarche [des sciences dites “humaines”] a sa place, a son niveau d’organisation social, le monde dans lequel il évolue, avec ses lois. Mais ce même [humain] est également constitué de particules élémentaires, ruéunies en protons, neutrons, électrons, par l’intermédiaire de particules vectrices. Ces particules appartiennent à un autre niveau d’organisation. Si l’on considère les planètes dans le cosmos, on voit se dessiner un autre niveau d’organisation. Il y en a beaucoup d’autres, plus complexes.”
Dans la préface de Dieu ne joue pas aux dés, Laborit rend aussi hommage aux sources d’inspiration qui lui ont permis d’écrire ce livre on ne peut plus multidisciplinaire :
“Merci Reeves, merci Heidmann, merci Silk et Barrow, et merci à tous les auteurs de “revues générales”, de Science, de Nature et autres grandes revues scientifiques, merci à la Recherche aussi, merci à touts ceux qui savent exprimer, dans des termes compréhensibles pour ce qu’il est convenu d’appeler des amateurs cultivés, l’essentiel du contenu de leurs disciplines.”
Personnellement, je me souviens du choc que m’avait procuré la lecture de Patience dans l’azur, le livre d’Hubert Reeves paru en 1981 et que j’avais lu à 18 ans. Que le soleil ait une mort annoncée dans 4 milliards d’années ou que les atomes qui constituent notre corps soient de la “poussière d’étoile” m’avait fourni l’électrochoc ouvrant la porte à une cosmologie païenne. Et probablement à l’ouverture d’esprit nécessaire à la découverte des ouvrages de Laborit quelques années plus tard…
Un autre qui a été influencé par Reeves et par le ciel étoilé de Matane, sa ville natale au Québec, est le physicien Yves Sirois, directeur de recherche au CNRS et responsable français pour l’expérience du grand collisionneur au CERN qui a permis la découverte en 2012 du boson de Higgs, ce que certains qualifient de plus importante découverte scientifique depuis 100 ans. Loin de moi l’idée de tenter d’expliquer ici pourquoi cette découverte est si importante, mais il semble que cette particule élémentaire dont l’existence a été postulée dès 1964, permet d’expliquer pourquoi certaines particules ont une masse et d’autres n’en ont pas. Et donc sans ce que les physiciens nomme aussi le champ de Higgs, pas de masse, et la matière n’aurait pas pu s’organiser. Et donc moi d’écrire ces lignes et vous de les lire !
Laborit pouvait donc connaître cette hypothèse du boson de Higgs formulée dès 1964 et, vérification faite, il en parle effectivement dans Dieu ne joue pas aux dés, notamment aux pages 148 et 149, et note que le scénario les impliquant “a la faveur actuelle des physiciens” (on est alors en 1987). Connaissant la soif de connaissance tout domaine confondu de Laborit, parions que s’il avait été encore des nôtres, lui qui venait souvent au Québec, il aurait sans doute été dans la salle lors de la récente conférence d’Yves Sirois à Montréal, qu’il se serait régalé de l’entrevue que Sirois a accordé à l’émission radiophonique de Joël Le Bigot et qu’il se serait même tapé Tout le monde en parle pour l’entendre dire que sa découverte ne sert à rien d’un point de vue productiviste, mais permet de mieux comprendre d’où l’on vient. Ce que Laborit se sera amusé à faire toute sa vie, finalement…