J’ai vu le film “Vivre 120 ans” dès sa sortie en 1994, à Montréal. M’intéressant à cette époque pas mal au cinéma québécois dans son ensemble, ce documentaire 55 minutes de Carlos Ferrand sur “les nouvelles frontières du vieillissement, avec des «vieux surdoués» inspirants” comme Laura Huxley (la veuve d’Aldous), Pierre Dansereau (pionnier de l’écologie décédé à 100 ans moins quelques jours !), Henri Alekan (directeur photo de cinéastes comme Cocteau, Carné, Gance) ou… Henri Laborit !
La présence de Laborit n’avait donc pas manqué de déclencher mon “détecteur de présence laboritienne” et je m’étais précipité pour voir le film. M’en était resté, outre l’enchantement et les réflexions fascinantes propres au film, cette scène finale inoubliable : Laborit, ému, récitant sur un bateau passant sous un tunnel obscur, un poème de la comtesse de Noailles et expliquant pourquoi le narcissisme de cette femme qui voulait se prolonger dans les jeunes hommes d’aujourd’hui à travers sa poésie le touche tant.
Longtemps cette scène m’a littéralement hanté par sa beauté et son authenticité. Et lorsque j’ai mis en onde ce site le 21 novembre dernier, je me suis senti légitime de contacter le réalisateur pour lui demander s’il n’y aurait pas moyen de mettre son film en valeur sur Éloge de la suite, considérant qu’il n’était nulle part sur le web. Cela était d’autant plus motivant pour moi que j’appréciais depuis longtemps le travail de Carlos Ferrand, notamment son merveilleux film Américano, une dérive très personnelle qui retrace ses ami.es en lutte partout en Amérique. C’est donc avec grand plaisir que nous nous sommes rencontrés et qu’après discussion avec la productrice du film, Nathalie Barton de InformAction Films, j’ai pu avoir l’autorisation de mettre en ligne le documentaire au complet ! Je les remercie donc chaleureusement ici pour cette inestimable contribution.
Voici donc le documentaire complet, suivi d’un minutage commenté des quatre apparitions de Laborit dans le film :
Laborit intervient d’abord au tout début du film, de 1:46 à 3:34, entrecoupé par la voix off de la narratrice, pour jeter les bases biologiques de certains processus liés au vieillissement, notamment les radicaux libres sur lesquels il a beaucoup travaillé. Et aussi, bien entendu, l’inhibition de l’action, bien souvent le fait de la société dans laquelle on vit qui nous empêche de réaliser notre bien-être.
“Le vieillissement est d’autant plus grand et plus rapide que votre mal-être est plus important. Je ne suis pas sûr que la véritable cause du vieillissement ait été crontrôlée, c’est-à-dire le rapport entre l’individu et son environnement social.”
Ferrand fait ensuite revenir Laborit de 24:34 à 25:25 après une séquence particulièrement optimiste sur l’intérêt de prolonger la vie humaine. Succulent clin d’oeil puisque Laborit, fidèle à lui-même, relativise ainsi :
“Personellement vous voyez, le fait de prolonger la vie des Hommes ne me semble pas être un progrès fondamental lorsque ces Hommes seront toujours ce qu’ils sont. Parce que, finalement, prolonger la vie de pré-hominiens, de gens qui vivent dans leurs jugements de valeur, leurs préjugés, leurs lieux communs, etc., qui s’entretuent à travers la planète, je ne vois pas très bien l’intérêt ! Ils s’entretueront plus longtemps, bon… Mais il faudrait qu’il y ait d’abord une transformation profonde du comportement humain pour qu’à ce moment-là le vieillissement devienne quelque chose d’intéressant : prolonger la vie de gens qui resteront productifs, créatifs, et non pas simplement dans la création de marchandises mais dans la compréhension de ce qu’ils sont par rapport à l’univers dans lequel ils sont plongés.”
Dans sa troisième apparition de 49:33 à 49:56, Laborit exprime le souhait que :
“cette nouvelle génération de vieillards puisse constituer une couche sociale suffisamment important, ayant suffisamment de poids, pour donner d’autres finalités à l’espèce humaine.”
Et finalement, la fameuse scène finale de 51:25 à 53:06 dont aucune retranscription intégrale ne pourrait rendre justice tellement le cinéaste a su capter un moment magique… “…cette femme qui ne voulait pas mourir et qui voulait se prolonger…”, alors que Laborit passe dans un rayon de lumière… “…elle est morte, mais elle est là parmi nous…”, même chose… Et l’on pourrait en dire autant de celui qui prononce ces mots…
Merci, très joli film assez planant avec HL à la fin très émouvant effectivement. Merci globalement pour ce site hommage