Voici un dossier que je déclinerai en deux parties tellement il s’avère riche en documents de toutes sortes. Dans cette première partie j’ai le plaisir de vous présenter un vidéo d’une conférence de 48 minutes de Laborit au Québec, le seul document vidéo d’une conférence de Laborit actuellement accessible sur le Net à ma connaissance…
L’histoire remonte (puisqu’il faut bien fixer un point de départ arbitraire dans le temps à une histoire…) au 23 septembre 1988 alors que Pierre Varin, psychologue du travail à Hydro-Québec (la société d’État québécoise d’hydroélectricité), écrit cette lettre à Henri Laborit (page 1 et page 2 de la lettre). Varin explique à Laborit qu’il est en train de mettre sur pied un programme d’information en santé mentale au sein d’Hydro-Québec qui repose sur sa nouvelle grille d’interprétation des comportements humains.
Varin propose ainsi de mettre en oeuvre au sein d’Hydro-Québec le souhait que Laborit exprimait déjà dans La société informationnelle, idées pour l’autogestion (1973), à l’effet que chaque être humain devrait disposer d’au moins deux heures par jours pour s’informer d’une manière généralisée sur le monde complexe qui l’entoure. Et il l’offrirait d’une certaine manière sur le temps dit “productif” des employé.es. Tout pour plaire à Laborit…
Celui-ci lui répond d’ailleurs par une lettre chaleureuse datée du 10 octobre 1988 où il se dit d’abord séduit par la façon “schématique et cependant très rigoureuse avec laquelle [Varin a] résumé l’essentiel de [sa] pensée” dans un document annexé à sa lettre. Il évoque ensuite un probable voyage au Québec dans l’année qui suit et assure que si le voyage se concrétise, il le lui fera savoir pour le rencontrer et l’aider à lancer son programme.
Et chose promise, chose due : un article du numéro d’août 1989 d’Hydro-Presse annonce une conférence d’Henri Laborit le 19 septembre suivant de 11h30 à 13h à l’Hôtel Méridien à Montréal. La conférence portera sur “les conditions favorables au maintien de la santé physique et mentale, puisque les deux sont intimement liées”, comme le rapporte l’article. Cette approche, que Laborit développait depuis au moins 20 ans dans ses ouvrages, commençait alors à percer dans le grand public et ses institutions. Les liens cerveau-corps-environnement ne sont plus aujourd’hui à démontrer et comprennent plusieurs domaines de recherche comme la neuro-psycho-immunologie ou la neuro-psycho-endocrinologie.
La conférence attira près de 1000 employé.es et fut reprise plus tard en après-midi par Laborit devant près de 200 cadres et professionnel.les de la santé. Voici donc l’intégral de cette conférence de 1989 (filmée avec la technologie vidéo de l’époque et transférée par la suite en numérique) obtenue grâce à la collaboration de Pierre Varin que je remercie non seulement pour la conférence mais aussi pour tous les autres documents de ce dossier.
J’ai laissé les logos animés du début (pour se mettre dans l’ambiance de la fin des années 1980…), le mot d’ouverture d’un dirigeant d’Hydro-Québec, ainsi que l’introduction et le mot de la fin de Pierre Varin. Il y a un “noir” d’environ 15 secondes au début, et l’exposé de Laborit commence vers la 4e minute. Cette conférence se retrouve maintenant aussi dans la section vidéo de notre site.
Pour l’anecdote, Pierre Varin m’a raconté que c’est lui qui changeait les acétates à mesure que Laborit avançait dans son exposé. C’est seulement par la suite, quand Varin a édité la conférence pour la rendre accessible aux employé.es, qu’il a fait appel à quelqu’un pour refaire en animation couleur les schémas classique dessinés en noir et blanc par Laborit !
Enfin, dans son numéro d’octobre / novembre / décembre 1989, la revue Courant publie un article d’Yvan Cliche intitulé « La gratification par l’imaginaire » qui résume en quelques paragraphes les idées générales de cette conférences du 19 septembre 1989. Laborit félicitera d’ailleurs le journaliste pour son efficace travail de synthèse dont j’ai cru utile de reproduire ici la partie centrale :
« Quand il y a action gratifiante, il y a alors maintien de l’équilibre biologique, du bien-être et du plaisir. Des contraintes peuvent toutefois survenir à l’action gratifiante. Il y a alors manifestation d’un comportement de fuite ou de lutte. Si la fuite ou la lutte s’avèrent inefficaces, il se produit ce qu’Henri Laborit nomme inhibition de l’action en même temps que le désir de se faire plaisir se maintient. Dans le cerveau, il y aura ainsi une compétition entre les circuits de l’action (récompense et punition) et le circuit de l’inhibition de l’action, d’où apparition du stress et de l’angoisse. Une chronicité de cette inhibition de l’action, prévient Henri Laborit, provoquera des troubles fonctionnels et un affaiblissement du système immunitaire pouvant aboutir, à plus ou moins long terme, à la maladie physique et mentale. »
C’est ce qu’illustre ce schéma du Cerveau à tous les niveaux. Je poursuis l’extrait de l’article d’Yvan Cliche car il résume fort bien le problème du conformisme social et du stress au travail auquel font face encore une large proportion de la population.
« Un mécanisme fréquent d’inhibition de l’action survient lorsqu’il y a conflit entre la recherche du plaisir et du bien-être et les interdits socioculturels. C’est-à-dire que cette pulsion de se faire plaisir se trouve, dans les systèmes neuronaux, en opposition avec les voies codées par l’apprentissage socioculturel. Cette socioculture a créé des automatismes de pensée et d’action, dont nous sommes largement inconscients, mais qui sont indispensable au maintien de la structure hiérarchique de dominance, organisée, dans notre société, sur la production et la vente de marchandise. »
Et on arrive finalement aux conséquences directes sur le travail :
« Le travail est un lieu privilégié où s’établissent les échelles hiérarchiques de dominance. Selon Henri Laborit, l’Homme est considéré dans nos sociétés contemporaines comme un agent de production à qui on apprend à n’être motivé que par la promotion sociale. Celui qui possède l’information technique facilitant une production plus efficace et abondante est privilégié et bénéficie d’une meilleure position sociale. Il est cependant possible de trouver le bonheur dans le conformisme socioculturel, puisque l’individu évite la punition sociale, c’est-à-dire la marginalisation. Ce faisant, l’individu se place toute fois dans une situation où il lui est impossible d’agir selon ses pulsions.
Le travail est de plus en plus fragmenté et automatisé, déplore Henri Laborit, ce qui entraîne, chez les individus, une absence de spontanéité et de créativité. Le résultat est qu’il est devenu impossible d’agir pour se gratifier, si ce n’est par une soumission au système de production et la disparition progressive des motivations autres que salariales. La vie est ainsi remplie d’un travail sans joie, faite de gratifications matérielles. « Ce qui peut fournir au travail humain ses caractéristiques humaines, à savoir de répondre au désir, à la construction imaginaire, à l’anticipation originale du résultat, n’existe plus », soutient Henri Laborit, dans son livre L’éloge de la fuite. En fait, il exalte l’imaginaire, source de la créativité humaine, et le considère comme le avoie privilégiée pouvant susciter une nouvelle solidarité humaine qui mettrait fin à la structure sociale de dominance. »
La suite de ce dossier sur Laborit et Hydro-Québec par ici…
Bonjour Bruno
Félicitation pour avoir rapporté de façon exhaustive ce passage d’Henri Laborit à Hydro-Québec et notre complicité d’esprit et d’action gratifiante. Merci beaucoup
Merci à toi pour avoir rendu possible cette conférence de Laborit et pour tout le travail auprès des gens à Hydro-Québec !
Merci pour cette conférence, qui synthétise la réflexion de ce génie qu’était le Doc’ Laborit! 😉
Quel synchronisme? Je suis à zapper à la recherche d’une émisssion intéressante. Je tombe sur l’émission nom de dieux, canal savoir, dont le synopsis annonce une entretien avec henri Laborit. J’ai le ipad à la main, je recherche Henri Laborit dont je me souviens d’avoir assisté à une conférence organisée par Pierre Varin, un collègue de travail.
Votre site se trouve là. Ah ! Les coïncidences….peut-on les expliquer.
Merci.