Cette semaine, je me suis dit qu’on était dû pour une petite « sucrerie », alors je vais reporter à la semaine prochaine les six pages annoncées de la retranscription du passage en 1980 de Laborit à l’émission Questionnaires de la chaîne TF1.
Car la « sucrerie » dont il s’agit cette semaine est non pas une retranscription mais un réel enregistrement vidéo d’une émission de télé. Il m’est parvenue grâce à un lecteur du site, M. Patrice Faubert (que je remercie chaleureusement ici), qui avait bien commencé mon année 2016 en m’écrivant le 1er janvier dernier qu’il m’enverrait « tout un lot de cassettes audio et une cassette vidéo sur Henri Laborit » ! Il tint sa promesse quelques semaines plus tard et m’envoya les six (6 !) cassettes audio et la cassette vidéo de format VHS. Mais ce n’est que cette semaine que j’ai enfin trouvé le temps et le moyen de numériser la cassette vidéo (encodée selon les standards français de la vidéo, ce qui a quelque peu compliqué l’opération : merci Michaël Fortin…).
Il s’agit d’un épisode du mois d’avril 1992 de l’émission Ex-Libris animé par Patrick Poivre d’Arvor avec, comme me l’écrivait M. Faubert : « Monod et d’autres savants sympathiques ! ». Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir en effet parmi les quatres invités autour de la table avec Laborit, deux autres de mes « idoles » : Théodore Monod, le grand humaniste et explorateur des déserts, et Frans de Waal, une référence en primatologie contemporaine ! Le premier allait avoir 90 ans dans une semaine comme l’avais souligné l’animateur (il ne décèdera que 8 ans plus tard, à 98 ans !), et les second, encore tout jeune, s’exprimant très bien en français (de Waal est hollandais et travaille aux États-Unis).
Comme l’émission était longue et en plus, fait plutôt cocasse avec le recul, fut interrompue par l’annonce du cabinet ministériel du nouveau gouvernement de Pierre Bérégovoy, j’en ai sélectionné trois segments que je vous présente ici, soit : 1) le 15 minutes d’échange avec Laborit pour la sortie de son livre L’esprit du grenier (incluant une séquence inédite de 1988); 2) un 7 minutes où Laborit pose une question à Théodore Monod sur la disparition des dinosaures; et 3) les 12 premières minutes de l’émission avec la présentation des invités et l’entretien avec Frans de Waal.
1) le 15 minutes d’échange avec Laborit
Le segment débute avec une allusion à l’incroyable anecdote du récit du naufrage du Siroco, où Laborit s’en est sorti de justesse en 1940, retrouvé 50 ans plus tard par hasard par Laborit qui en a fait un chapitre de L’esprit du grenier.
Il y mentionne ensuite le chapitre intitulé “Trialogue entre un adulte et deux enfants”, inspiré de ses rencontres avec les étudiant.es de Claude Grenier à La Rochelle. Ou comment des jeunes non encore conditionnés par les jugements de valeur de la compétition économique peuvent très bien comprendre qu’il peut y avoir une autre finalité à la vie…
On diffuse alors un extrait de Mon oncle d’Amérique où Laborit explique l’origine de l’inhibition de l’action et ses conséquences néfastes sur la santé.
L’animateur l’amène ensuite à parler des psychotropes et pose la question classique à Laborit, à savoir s’il se sent responsable de leur surconsommation. Ce à quoi Laborit réplique comme souvent en remontant aux causes sociales qui incitent les gens à fuir ainsi un monde marchand qui leur faire perdre de vue le sens de leur existence. Et il ajoute que son boulot à lui, c’est ce comprendre les mécanismes à l’origine de cette perte de sens, et comment on en est arrivé là.
À 10 minutes, Poivre d’Arvor propose une autre question controversée, celle de la souffrance animale, en particulier dans les laboratoires de recherche. Laborit le remercie de lui donner l’occasion de souligner que s’ils ne traitaient pas bien leurs animaux de laboratoire, ce qu’ils mesurent et les dosages qu’ils font sur eux n’auraient simplement pas de sens. Pour lui, ajoute Laborit, les plus cruels avec les animaux sont peut-être « les amis des bêtes » qui tiennent en laisse et châtrent leur chien ou leur chat pour qu’ils soient bien sages… Sans oublier les plantes qui ont aussi leur sensibilité propre (et des travaux récents viennent le confirmer), conclut un Laborit qui, visiblement, aime la provocation…
Et pour conclure, à 13 :30, une surprise inédite : un extrait de 1988 où Laborit chante avec des copains une chanson qu’il avait composé à 14 avec son ami Philippe Lafitte !
S’ensuit un dernier mot de Laborit qui souligne que son éditeur (Grasset) n’avait pas cru bon d’inclure une dizaine de poèmes qu’il avait écrit après la guerre et avait inclut dans le manuscrit de L’esprit du grenier à la suite du chapitre sur le Siroco « parce qu’il ne fallait pas mélanger les genres », souligne sourire en coin un des pionniers de la multidisciplinarité…
2) le 7 minutes où Laborit pose une question à Théodore Monod sur la disparition des dinosaures
Laborit demande donc à Monod ce qu’il pense de l’hypothèse, formulée depuis peut-être une dizaine d’année à cette époque, qu’un immense météorite ait déclenché l’extinction massive et soudaine des dinosaures il y a 65 millions d’années (une étude récente montre qu’ils étaient déjà en déclin un peu avant). Monod répond en résumant l’hypothèse et en l’appuyant de son érudition, notamment sur la faune marine de cette période géologique, au grand plaisir de Laborit dont l’intérêt et la fascination pour Monod transparaît sur son visage tout au long de l’échange.
Échange qui se poursuit avec deux objets que Monod veux leur montrer. D’abord un gros morceau de verre naturel (98% de silice) dont l’origine mystérieuse a deux hypothèses explicatives, dont l’une météoritique (ce qui nous garde dans le sujet…). Ensuite deux bifaces, ces pierres taillées par nos lointains ancêtres et qui avaient de nombreux usages, notamment le dépeçage des animaux. Monod insiste sur notre difficulté à nous, « pucerons éphémères » (!), d’imaginer ce que c’est que la durée. Et il cite Lamarck : « Avec le temps, tout devient possible. La nature n’en manque jamais. » C’est ainsi que ces bifaces, dont la face supérieure a été polie par le vent du désert, n’avaient jamais été retournés pendant au moins 100 000 ans jusqu’à ce que Monod les trouve…
Petite anecdote en terminant : Laborit a acheté sa maison de campagne de Lurs en Haute-Provence (où il est enterré) à Maximilien Vox, grand historien de la typographie et… frère de Théodore Monod !
3) les 12 premières minutes de l’émission avec la présentation des invités et l’entretien avec Frans de Waal.
Après avoir présenté les 5 invités, Patrick Poivre d’Arvor annonce donc qu’il se peut que l’émission soit interrompue pour annoncer la constitution du cabinet ministériel du nouveau gouvernement. Il se tourne ensuite vers Frans de Waal et commence l’entretien avec lui suite à la publication de son ouvrage De la réconciliation chez les primates.
À 4 :45, de Waal commente des images de chimpanzés et de bonobos en train d’avoir des comportements de réconciliation, en particulier de nature sexuelle et homosexuelle.
À 7 :45, ce sont des images du film Le peuple singe qui sont présentées sur les parades d’intimidation chez les chimpanzés.
De Waal rappelle ensuite qu’il y a près de 200 espèces de primates qui ont toutes leur registre comportemental propre, et que l’être humain est l’une de celles-là.
À 9 :30, l’animateur passe la parole à Laborit qui dit avoir apprécié l’ouvrage mais insiste en même temps sur l’importance de l’apprentissage et de la mémoire dans ces comportements car au fond, ce qu’on essaie de faire la plupart du temps, c’est de conserver un objet ou un être dont on a le souvenir qu’il peut être gratifiant pour nous.
Et alors que l’animateur mentionne l’hommage que rend de Waal à quelques grands éthologues dans son bouquin (Konrad Lorentz, Desmond Morris…), on nous parachute à l’Élysée pour une lecture mortuaire de la liste des nouveaux ministres…
😉